3 avril 1811.
Tous mes ennuis ont leur cours ordinaire, aussi ai-je pris mon parti. Tu sais que j'ai obtenu de passer l'hiver prochain et les suivants à Paris. Je devais y aller pour mon instruction et pour mon agrément particulier, je n'irai plus que pour solliciter par tous les moyens possibles quelque emploi dans le civil ou dans le militaire qui sera ma dernière ressource. Ne pouvant vivre heureux en France, j'irai me faire tuer en Espagne ou en Russie. Avec quelque protection et d'ailleurs à peu près deux mille francs de mes parents, ne puis-je pas espérer quelque chose dans quelque légation qui me donne l'espérance prochaine d'acquérir par mon travail une situation plus relevée et plus aisée? Si cela me paraît impossible, tu me verras sous-lieutenant de hussards ou de dragons, en France ou à Naples, dans peu de temps. Informetoi, je t'en prie, comme pour toi, de tout ce que je peux espérer ou craindre dans mes projets. Je ne m'effraie pas de commencer bien bas, et le service est dans tous les cas mon pis aller. Tu sais que la diplomatie est ce qui me conviendrait le mieux, fallût-il travailler longtemps dans les bureaux. Toi qui es sur les lieux, prends, je t'en conjure, toutes les informations, mande-moi tout avec franchise et détails ; tu connais mon caractère et mon genre, cherche ce qui pourrait le plus lui convenir, et ménage-moi quelques connaissances utiles pour mon but, en hommes ou en femmes. Je te demande là un service de véritable ami : mets-toi à ma place et fais comme pour loi.
Je sais maintenant l'anglais et passablement l'italien, mais beaucoup mieux la première de ces langues, et, s'il ne faut que cela, tu sais que j'en aurai bientôt appris d'autres avec la plus grande facilité. Ne vois-tu aucun jour, dans aucune espèce de carrière quelconque? Dis-le-moi franchement. Tu m'éviteras de dépenser du temps et de l'argent à des sollicitations inutiles, à des recherches infructueuses. J'emploierais tout de suite mes moyens de tout genre à obtenir un brevet de sous-lieutenant ou même moins, et je deviens un vrai pandour. Ne crois pas que ce soit là un parti désespéré et ne crains pas de m'aider à faire ce qu'on appelle un pas de clerc. Mets-y du zèle. Au reste, connaissant ton coeur, je n'en doute pas, et ne crains pas d'abuser de toi, parce que je me connais moi-même et que je sais que rien ne me coûtera jamais pour toi.
J'ai passé seulement trois jours à Lyon bien tristement, et je suis ici à présent miné par une espèce de fièvre nerveuse qui me ronge et m'ôte toutes mes facultés. Peut-être la campagne, quelques voyages que je suis obligé de faire cet été à Dijon et à Moulins, me feront-ils du bien ; peut-être me détruiront-ils peu à peu : tant mieux encore! J'ai assez goûté de la vie, je n'en veux plus et ne la regretterais que pour loi. Mais je suis dans l'opinion que c'est un remède que la nature veut que nous avalions jusqu'à la lie, j'espère que j'en aurai la force. Nous sommes ici pour souffrir, remplissons notre tâche, mais ne nous plaignons pas de la voir abrégée! Pardon, mon ami, je t'attriste sans cesse par mes sottes lamentations. Je pleure pour qu'on me console.
Adieu,
le meilleur des amis, pense à moi et écris-moi tout et tous les jours.