Mâcon, 22 février 1808
J'ai reçu ta lettre, mon cher ami ; elle a calmé le chagrin que j'avais de ne vous plus voir, de ne plus vivre, de ne plus causer avec TOUS.
Tu me demandes le récit démon voyage. Je vais te le faire. Ne t'attends pas cependant à ce que je veuille faire le petit Chapelle et te dire des platitudes en vers : il est beaucoup plus simple de les dire en prose. D'ailleurs les sites du Bugey, non plus que les habitants, ne prêtent guère à la poésie, et Bachaumont ainsi que son compagnon ne l'ont pas choisi pour en faire le sujet de leur badinage.
Je m'embarquai le lundi avec la compagnie qu'on nous avait annoncée. Je fus fort maussade tout le long du jour, et il n'y a rien là de merveilleux. Le soir j'eus le malheur de rencontrer à Ambérieux un poëte, entre la poire et le fromage.
Ce poëte, tu le connais, mais d'ici à demain tu ne le devinerais pas, si je ne te disais que c'était G... qui me prit là en belle amitié pour mes péchés. Enfin je me délivrai du personnage, de ses élégies; de ses couplets et de ses quatrains dont il ne me fil pas grâce d'un seul, et j'allai me coucher dans un lit fort mauvais où je ne dormis guère. Je me consolai en rêvant à vous, et nous repartîmes. Il y avait deux pieds de neige ; nous versâmes à moitié dans un fossé, je sautai en bas de la voiture et" n'eus point de mal. Pour couper court, nous arrivâmes.
Je passai à Lyon dix ou douze jours fort peu agréables ; cependant je vis deux fois V..., un peu plus spirituel que de coutume, chose surprenante. La faculté dé Lyon m'a défendu de m'appliquer aux mathématiques, de cinq ou six mois. J'ai cependant déjà commencé à lui désobéir ainsi qu'en beaucoup d'autres points, et, malgré mes désobéissances, je commence à me mieux porter, mais en arrivant ici j'étais très-mai à mon aise. Voilà mon voyage, bien en abrégé. Un jour que j'en aurai le temps je te le conterai plus en détail, il y a des choses qui te feront rire...
Veux-tu à présent savoir ce que je fais : je me lève à six heures, j'étudie jusqu'à neuf; je monte à cheval jusqu'à midi ; je dîne. Une heure après le dîner je prends une leçon de danse, une autre de musique, une de mathématiques et une de dessin. Après tout cela je vais faire quelques visites ou je reste seul à la maison, comme aujourd'hui pour l'écrire.
Mon pli est pris et je veux décidément travailler. J'ai commencé à parler de diplomatie : on me dégoûte un peu, mais je suis fidèle au poste, nobilis me sollicitat ambilio. J'attends le mois d'octobre pour me lancer si je peux y parvenir. En attendant, je prépare mes armes et je fais ma devise : virtuti et glorice.
Nous avons eu ici quinze jours de printemps pendant lesquels j'équitais beaucoup avec deux de mes amis qui ne valent pas ceux de Belley. Nous avons été du côté de l'Omus, pays qui, je crois, l'est connu et cher, si j'ai la mémoire bonne. Nous sommes replongés dans les neiges et je me chauffe.
Adieu, je t'embrasse de tout mon coeur. Je crains de l'ennuyer, sans quoi je ne finirais pas.Dis mille choses à Guichard, Galtier, Laboré,Revoux, ainsi qu'à tous nos autres anciens amis. Quand te reverrai-je ?
Ton ami,ALPH. DE LAMARTINE.