Mâcon, 18 février 1808.
Mon cher ami,
j'avais juré que je ne toucherais pas ma plume aujourd'hui, parce que je me suis fait mettre les sangsues et que je voulais me reposer; mais quel serment peut tenir contre le désir d'écrire à un ami? Le mien n'a pas été assez fort pour cela. D'ailleurs quel plus doux délassement pour moi que de causer un peu avec toi ! Je sens plus que jamais le besoin qu'on a de parler souvent à ses amis, et voilà pourquoi je me propose, bon gré, mal gré, de t'accabler de mes soties épîtres. La voilà donc recommencée sérieusement celle correspondance à laquelle nous n'avions fait que préluder pendant les vacances dernières. Nous verrons si tu y seras aussi fidèle que tu me l'as promis et que je le suis moi-même. L'air de Belley aurait-il donc changé les résolutions que t'avait inspirées celui de ton château charmant de Bienassis, ou bien commences-tu à dédaigner un pauvre ermite au coin de son feu, qui n'a pour toute compagnie la plupart du temps que ses livres, ses souvenirs et ses espérances ? Mes livres sont comme mes amis, peu nombreux, mais bien choisis ; mes souvenirs ne peuvent qu'être agréables ; pour mes espérances, elles sont la partie la plus riante et la plus étendue de ma société : j'aime à me délasser avec elles de tous mes maux, je les appelle à mon secours dans mes ennuis, je ne les oublie pas dans mes jouissances, et je goûte fort ce mot d'une jolie chanson :
Le désir ardent que j'ai de le revoir contribue beaucoup à nourrir la mienne ; quand viendra cet heureux temps?
J'ai reçu les deux aimables lettres de Virieu et de Galtier ; j'ai répondu à l'une et un de ces jours je répondrai à celle de Virieu qui me demande le récit des aventures qui ont entremêlé mon voyage. On en pourrait certainement faire une autre Odyssée, tant il y a de merveilleux, d'étonnant et de terrible, mais par malheur tout cela est mêlé de beaucoup de comique. Je te charge de tous les compliments du monde pour lui, pour Galtier, pour Laboré, Revoux, Rombeau, Labbé et Revel.
Adieu, mon cher ami, philosophe bien, divertistoi bien, porte-toi bien. Voici les jours gras qui arrivent, vous allez vous en donner. Je t'y souhaite tout le plaisir possible, mais je désire sur toutes choses que tu me regardes toujours comme le meilleur de tes amis.
ALPH. DE LAMARTINE.