Mâcon, 26 novembre 1809.
Mon projet était bien de continuer comme j'avais commencé, mais je veux te parler et te dire beaucoup de choses, et les vers sont trop longs à suivre les idées. Bien heureux que ces six mauvais soient venus de bonne volonté. Attendons-en d'autres.
Je suis à Mâcon, au coin de mon feu, tout seul : j'y suis venu exprès pour t'écrire et mettre tout de suite ma lettre à la poste. Tu pars donc incessamment. Tu nous quittes, tu nous laisses, tu vas être plus heureux que nous. Nous oublieras-tu? Non, tu ne retrouveras plus d'amis qui t'aiment comme nous. Et pour moi, je me suis juré de n'en plus avoir au préjudice de l'un de vous. Adieu donc, serva fidem.
Tu me dis que tu ne fais rien ; ni moi non plus. Nous n'avons rien à nous reprocher : depuis six mois je suis le plus grand paresseux de France. Consolons-nous mutuellement et réveillons-nous par des plans, par des projets, par des réflexions grandes et nobles, dignes de nous : Odi profanum vulgus.
Mais voici des vers qui me viennent :
Ce n'est plus cela, tu le vois mieux que moi.
Donnons-nous donc de la peine, conjuguons du grec, de l'italien, de l'anglais. Ne nous rebutons pas.
Ne suis-je pas en veine malgré moi aujourd'hui? Je ne sais si c'est parce que je viens de bien dîner. Mais il faut que je m'arrête, car le jour baisse dans ma chambre et bientôt je n'y verrai plus.
Il n'y a plus de possibilité à ce que j'aille te voir. Il n'en faudrait même pas parler. Ah! j'en souffre plus que toi, et j'ai terriblement de choses à le dire ! cependant je ne veux pas à toute force renoncer à te voir, ne fût-ce qu'une heure. Où passeras-tu? à Lyon sans doute; dans quel temps, quel jour? entendons-nous. Je pourrais peutêtre m'échapper incognito ou bien même ouvertement.
Parle-moi donc un peu dans la première lettre de Guichard, de vos courses qui m'ont fait pleurer de regret, de Belley, de Grenoble, de Crémieu, et que sais-je encore? Je m'ennuie à mourir ici. Rien ne m'y attache. Je perds la seule personne que j'y aimais véritablement, qui m'aimait aussi : c'est ce jeune homme dont je l'ai parlé quelquefois, qui nous quitte pour aller habiter le Bourbonnais. C'est avec lui que j'entreprendrais peutêtre un voyage secret à Paris cet hiver, si je voyais que je ne pusse rien faire du tout à Lyon. Biais je crois qu'avec de la persévérance, de la constance, de la fermeté, je trouverai moyen d'y travailler et avec fruit, le plus longtemps qu'ira ma bourse ;
et, en attendant mieux, adieu.
Forsan et haec olim meminisse
juvabit.
ALPHONSE DE LAMARTINE.