Milly, 4 septembre.
Oui, je vole à ton ermitage,
Je vais me jeter dans tes bras;
Vers ce délicieux rivage
L'amitié conduira mes pas.
Sitôt que, barbouillé de lie,
Bacchus reviendra parmi nous
Rendre la nymphe plus jolie,
Rendre les satyres plus fous,
Je partirai. Sur l'onde claire
Quatre ou cinq gros zéphyrs normands
Conduiront ma barque légère
Vers ces bords heureux et charmants.
Le soir, du portique sonore
Quand j'ébranlerai le marteau,
Nanette vicndra-t-elle encore
M'ouvrir la grille du château?
Retrouverai-je la cellule
Où tous deux, sur la fin du jour,
Nous chantions ce fripon d'Amour
Qui tous deux maintenant nous brûle ?
Retrouverai-je le réduit,
La poétique solitude Où, loin du tumulte et du bruit,
Nous faisions une douce étude
De charmer le temps qui s'enfuit?
Retrouverai-je la prairie
Où nous descendions le matin,
Horace ou Voltaire à la main,
Chercher la douce rêverie ?
Hélas ! je les ai regrettés
Ces jours sereins, ces jours tranquilles!
J'ai vu le tumulte des villes
Et leurs coupables voluptés.
J'ai vu l'intérêt mercenaire
Former des amitiés d'un jour,
Et la beauté fausse ou légère
Trahie et trahir tour à tour.
J'ai vu l'agréable infidèle
Oublier le plus doux serment,
Hélas ! et, pour me venger d'elle,
Moi-même j'en ai fait autant!
J'ai vu, dans un cercle brillant,
Un sot, à la démarche fière,
Porter au vent sa tête altière,
Et le mérite en rougissant
Promener sa mine écolière,
Et bâiller en applaudissant.
J'ai vu... Mais que dirai-je encore?
Pardon, je finis, je me tais.
En voyant renaître l'aurore
De jours d'innocence et de paix,
Je redeviens heureux et sage :
Ainsi le limpide ruisseau
Dont la tempête a troublé l'eau
Se purifie après l'orage,
Reprend sa première beauté,
Et dans son miroir argenté
Réfléchit les fleurs du rivage.
Prépare donc, ô mon ami !
Ta muse qui toujours sommeille,
Et que le salpêtre endormi
Dans nos mains enfin se réveille !
Adieu. Dans la moitié d'un mois,
Sans coursiers et sans équipage,
Tu me verras auprès de toi
Renouer ce doux bavardage.....
Fait sur le coin d'un vieux pupitre,
Sans Minerve, sans Apollon.
Pour ce, l'auteur de cette épître
N'ose pas te signer son nom.
A. de L.