[p. 1] Ce samedi 10 novembre
J’ai envoyé chez vous hier, mon ami, et on m’a dit que vous étiez parti pour la campagne où je viens vous demander de vos nouvelles1. Ne m’en voulez pas de n’avoir pas envoyé plus souvent chez vous pour m’informer de vos nouvelles, mais je vous savais très occupé et je vous croyais bien portant, d’après ce que m’avait dit Mme Cerfbeer qui vous avait vu chez elle2 ; ce n’est que depuis très peu de jours que j’ai appris que vous étiez très fatigué, très enrhumé et je devine que [p. 2] vous vous êtes sauvé de Paris pour fuir les affaires, les importuns et pour garder le silence. Reviendrez-vous pour la cérémonie du 153 ?
Depuis que je vous ai vu, j’ai eu beaucoup de tracas et d’ennuis de maison. J’ai été longtemps sans cuisine, et ce qui est pis sans cuisinier. J’ai été obligée de remplacer mon vieux Maupois, qui ne pouvait plus aller, et je l’ai remplacé par un jeune qui me fait de la bonne cuisine, mais trop moderne hélas ! Nous autres vieux, mon ami, nous ne pouvons éviter d’être envahis par tout ce qui est nouveau, et à mon avis, beaucoup moins bien [p. 3] que ce qui existait du temps de nos pères. Cela est fort triste mais l’important pour nous, c’est de conserver notre bonne santé : la mienne résiste à tout mais la vôtre a besoin de soins, et vous savez, mon cher ami, combien je m’y intéresse. Outre mes occupations qui sont nombreuses, j’ai été, et je suis encore bien préoccupée, bien inquiète de la santé de mon pauvre fils malade ; les crises, qui l’année dernière étaient beaucoup plus rares, cette année se renouvellent bien souvent, et c’est au dépens non pas de sa santé, mais de son intelligence4. Vous pensez combien cela est cruel pour moi et quelle vie triste je mène ! Si vous n’avez rien à faire à la campagne [p. 4] sacrifiez-moi quelques instants pour venir causer un peu avec moi. Parlez-moi de votre santé, de vos projets ; avez-vous arrêté un appartement avec atelier ? Je pense que vous n’avez pas eu le temps de vous en occuper.
Eugène est encore en Auvergne pour quelques jours. M. Laity est à Paris. Mme de Querelles vous a écrit pour une recommandation, je n’y suis pour rien, car je n’aurais pas voulu venir augmenter vos ennuis5 !
Adieu, mon cher bon ami, croyez toujours à ma vieille et bien sincère affection. Je vous embrasse de cœur en attendant le plaisir de vous revoir. Je ne vous ai pas écrit pour votre parent, M. de Verninac, parce que, de mon [p. 1] côté, je n’avais hélas aucune protection6.
Adieu encore, cher ami,
Mille tendresses,
J.