Paris, 19 février 1778.
J'apprends à la fois, monsieur, et votre heureux retour dans votre patrie, et cet accueil, cet empressement, plein de vénération et de tendresse, dont elle se plaît à vous prodiguer les témoignages.
Cette gloire était bien due au grand homme qui a célébré si dignement Henri IV et le siècle de Louis XIV. Il semble même que vous ne pouviez choisir de circonstance plus favorable, et que le règne de Louis XVI était l'époque où le respect de la nation devait éclater pour l'auteur de la Henriade. En effet, monsieur, vos immortelles tragédies, qui vous ont mis au rang de nos poètes les plus célèbres, ont eu moins de part, peutêtre, aux acclamations du public, que cet ouvrage où vous avez peint le meilleur des rois.
Je me flatte que vous voudrez bien distinguer dans la foule l'hommage d'un homme qui fit autrefois le voyage de Genève, uniquement pour vous porter son tribut d'admiration. Je serais allé vous le présenter moi même, si je n'étais retenu par un rhume qui m'a presque ôté l'usage de la voix, et qui me fait une triste nécessité de différer ma visite.
Vous savez, monsieur, que j'ai toujours révéré en vous, le génie le plus singulier et le plus rare qui ait jamais illustré l'Europe; j'aurais souhaité seulement que vous eussiez joui d'une tranquillité égale à votre réputation: mais votre sensibilité a souvent troublé votre bonheur; et il est donc vrai qu'il n'est point de grand homme qui ne se rapproche, par quelque endroit, des faiblesses humaines.
En attendant que j'aille vous témoigner de vive voix mon ancien attachement, je vous prie de recevoir avec bonté cette collection de mes ouvrages, la plus soignée et la plus complète qui ait encore paru. Quelques-uns d'eux, (vous vous le rappellerez assez) ont produit, dans leur temps, une sensation plus vive que je ne l'aurais désiré; je n'ose me flatter cependant que vous les jugiez dignes de votre indulgence: mais, pour me mettre à la mode, on les a enrichis d'estampes, et ces images pourront peut-être vous amuser.