1768-05-24, de Jean Gabriel Montaudouin de La Touche à Voltaire [François Marie Arouet].

Il est bien difficile de vous louer dignement, et je connais trop mon insuffisance pour le tenter.
Je viens de prendre un moyen simple de vous rendre un hommage solemnel, c'est de donner votre nom à l'un de mes navires; trouvez bon que je le recommande à vos bonnes prières et que je vous prie surtout de réciter dévotement à son intention l'hymne d'HoraceSic te diva potens Cypri&c. Nos armateurs donnent souvent le nom des grands à leurs navires; mais des prétendus grands ne le sont fort souvent que par le hasard de la naissance, ou le tintamarre des places; pour vous, monsieur, c'est à force de mérite que vous avez forcé la voix publique à vous proclamer prince, j'ai pensé dire doge de la république des lettres; vous devez cette place unique à la supériorité de votre génie, et à l'attention si honorable que vous avez eue de répandre par vos écrits et même par vos exemples l'amour de l'humanité et de la bienfaisance, cette passion des sages à qui j'appliquerais volontiers ce que vous avez dit excellemment de l'amitié,

Seul mouvement de l'âme où l'excès est permis.

Permettez moi, monsieur, en qualité de fondateur de la société d'agriculture, de commerce et des arts de Bretagne, établissement qu'on a voulu imiter en partie, ou plutôt qu'on a tronqué en formant les sociétés d'agriculture du royaume, de vous remercier des éloges que vous avez bien voulu faire dans vos ouvrages de ces trois sources de la puissance et de la félicité des états. Un suffrage tel que le vôtre est le moyen le plus propre à accréditer le goût des choses utiles, et à concourir aux progrès du bien public.

Permettez moi encore, monsieur, de réclamer auprès de vous, pour autoriser la liberté que je prends de vous écrire, le titre de votre confrère très indigne de l'Académie de belles lettres de La Rochelle, et celui de cousin germain de madame du Boccage que vous avez bien voulu célébrer avec tant d'honnêteté, et recevoir d'une façon si polie; elle venait de voir bien des choses rares en Italie. Elle avait vu des hommes en Angleterre; mais ce n'est qu'au château des Delices qu'elle a vu une foule de grands hommes dans un seul.

Je suis avec une vénération profonde, une admiration sans bornes, et un respect infini

Monsieur

Votre.