17e janvier 1778
Je vous ai écrit hier, illustre et généreux Baron, et je suis forcé de vous écrire encore aujourd'hui, parce que je viens de recevoir tout à l'heure une Lettre de vous du 3e janvier, qui apparamment a fait le tour de la France avant de m'être rendue.
Je suis bien plus étonné encor de ce que m'écrit Monsieur D'Argental. Je ne conçois rien à Le Kain; je n'entends rien à tout ce qui se passe. Je vois seulement que je vous ai une obligation extrême de la chaleur et de la bonté que vous avez mise dans cette affaire qui m'est essentielle. Je vois qu'il faudra que je vienne à Pâques vous remercier si je suis en vie.
Je n'ai pas pu lire la ligne où vous me dites, Madame …. aura le manuscrit ce matin. Je ne sçais point quelle est cette Madame. C'est peut être un Monsieur, car il n'y a qu'une M fort mal faitte. Je ne suis point étonné que dans un siècle où tous nos auteurs écrivent pour n'être point entendus, ceux qui écrivent à leurs amis écrivent pour n'être point lus.
Je persiste dans la prière que je vous ai faitte de retirer tous les rôles et la pièce, et de mettre le tout dans un profond oubli, et dans le feu, jusqu'à ce que je puisse venir vous témoigner ma tendre reconnaissance.
Je soupçonne que le nom que je n'ai pas pu lire est Suart. Je soupçonne qu'il en a fait la critique avec Mr De Condorcet. Je soupçonne qu'elle poura être imprimée malgré moi dans peu de temps, et que celà serait bien cruel. Je soupçonne qu'il faut absolument que j'y travaille avec la plus grande attention, et que je prévienne toutes les tracasseries que je prévois. Je soupçonne que je serai fort enbarrassé.
J'ajoute à tous mes soupçons, que je n'ai entendu parler ni de Made Vestris, ni de Madlle st Val, que je ne connais personne, excepté Lekain, qui devrait par reconnaissance avoir un peu plus d'attention pour moi.
Je me jette entre vos bras, car envérité vous êtes un homme essentiel.
Made Denis vous fait les plus tendres compliments.
V.