1777-11-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Joseph Panckoucke.

Je reçois, Monsieur, avec autant d'étonnement que de reconnaissance, vôtre Lettre du 10e 9bre et vos paquets.
Vous faittes revivre le temps des Robert-Etienne, vous rendez la Typographie aussi estimable qu'elle doit l'être. Bien d'autres libraires sont éloignés de vous ressembler.

Je commence par vous dire que je veux absolument connaître le prix des volumes de l'académie des sciences, et vous les paier.

J'ajoute que je vous prie très instamment de retrancher les louanges que je ne mérite pas; elles sont comme mes statues et comme les beaux vers dont Monsieur De St Lambert m'honora, tout celà m'attira des ennemis et des libelles. Vous connaissez la rage de la canaille de la Littérature. Je ne crois pas qu'il y ait rien dans Paris de plus lâche et de plus méprisable. Nonseulement je travaillerai pour vous, mais j'y travaille dans l'instant même. J'y passerai les jours et les nuits tant que la nature m'accordera des nuits et des jours. Vous aurez avant trois mois huit ou dix volumes conformes à vôtre plan, remplis de pièces nouvelles, et de pièces corrigées. Je vous fournirai, à moins que je ne meure, de quoi faire une édition assez curieuse qui fera amande honorable pour toutes ces éditions suisses, genevoises, hollandaises, dans lesquelles on m'a défiguré.

Ne soiez point surpris si je vous promets tant de volumes dans trois mois. Quand on travaille dans la solitude douze heures par jour, on ne laisse pas de faire de la besogne quelque faible et quelque malade que l'on soit. On oublie ses quatre vingt quatre ans, on rajeunit avec vous. Enfin la mort seule peut s'opposer au désir extrême que j'ai de mériter ce que vous faittes pour moi.

Adieu sans cérémonie mon cher ami.

Le vieux malade V.