22e 7bre 1777
Je vous prie, mon véritable, et cher philosophe d'avoir pitié de vôtre pauvre Suisse.
Votre santé est, dit-on, rafermie, quand la mienne est rongée par le temps. Je vous ai écrit pour ce De Lille, qui me parait un si bon enfant, et tout fait pour vôtre roial ami des bords de la Sprée. Je ne sçais si vôtre protégé est à Paris, s'il vous a vu, si vous avez écrit en sa faveur, s'il veut que j'écrive. Je n'entends parler ni de vous ni de lui.
J'ignore ce que c'est que Mr Rémy. Je ne connais point son ouvrage; mais il faut qu'il soit le philosophe le plus éloquent du roiaume puisqu'il l'a emporté sur le concurrent que vous connaissez. Comment celà s'est-il fait? a t-on eu tort, a t-on eu raison? cassera t-on le jugement de l'académie? Cette étrange avanture nous privera t-elle d'un confrère dont nous avons tant de besoin? Mettez moi je vous en prie au fait avant que je meure. Je ne me soucie point des querelles sur la musique, je ne songe, et je ne songerai à mon agonie qu'à la bonne cause, dont il parait qu'on ne se soucie plus guères. Chacun a pris son parti tout doucement, et je crois qu'on en restera là. Les charlatans en tout genre débiteront toujours leur orviétan. Les sages en petit nombre s'en moqueront. Les fripons adroits feront leur fortune. On brûlera de temps en temps quelque apôtre indiscret. Le monde ira comme il est toujours allé; mais conservez moi votre amitié mon très cher philosophe.