1773-10-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Louis Claude Marin.

Je vous avoue, mon cher Monsieur, que je n’avais pas pensé qu’un service d’ami pût avoir des conséquences si désagréables.
Il me parait que l’affaire de Made Goesman et de Mr De Beaumarchais ne devait vous compromettre en aucune façon, ni vous ni Mr D’Arnaud. Voilà la première fois qu’on a été inquiété pour avoir voulu apaiser une querelle, et étouffer un procez.

Je pense que rien n’est plus étranger à ce procez que les deux incidents qu’on appelle épisodes. Le véritable fond de l’affaire est précisément ce qu’on ne dit pas dans les mémoires; ce qu’on fait soupçonner à tout le public, et ce qui ne regarde nullement à mon gré ni vous ni Mr D’Arnaud.

Je trouve que Mr De Beaumarchais pouvait se passer de vous compromettre tout deux.

Je suis très affligé de cette tracasserie qu’on vous fait de gaieté de cœur. J’en suis fâché pour l’Epine qui me parait un honnête homme, et qui est fort utile aux manufactures de montres que j’ai établies à Ferney. Il m’a paru sage, laborieux et pacifique. S’il pouvait contribuer à étouffer cette affaire, je crois que ce serait une très bonne action.

Je vous prie de ne me laisser rien ignorer de toute cette avanture. Vous savez combien je m’intéresse à tout ce qui vous touche. J’ose dire que je m’intéresse aussi à la gloire du parlement de Paris qui est attaquée dans le sujet de la pièce dont vous faittes une épisode.

On m’a mandé que Les Dujonquai avaient osé présenter requête au conseil contre l’arrêt du parlement qui les condamne à des peines trop douces. Cette démarche me parait aussi étrange pour le moins, que cette épisode qui vous compromet dans une cause qui vous est absolument étrangère.

Adieu, mon cher ami, je vous suis aussi attaché que je vous suis inutile.

V.