écrite du Languedoc ce Mois de septembre 1777
Monsieur,
Pénétré d'admiration Pour La sublimité de votre génie, et Pour la Bonté de votre cœur, je cède enfin au désir, qui me Présse depuis Long tems, de vous adrésser une lettre.
Ce n'est Point que j'aye perdüe de vüe La distance infinie, qui est entre Le grand, le divin Voltaire admiré de tout le Monde, et un Pauvre Reclus Connu seulement de trois ou quatre Loups garou avec qui il est forcé de Vivre. Mais je veux que vous ayés La consolation de sçavoir, que dans le cloitre même, Ce Ténébreux séjour de L'ignorance et du fanatisme, Vos Précieux Talents Vous ont fait des adorateurs. Ouï malgré Les clameurs continuëlles de quelques misérables Prètres et Moines, qui n'ont jamais eu Le Bonheur de Lire vos ouvrages; malgré Les impertinentes Calomnies de Nonnote, des Freron, des Patouillet, et des Sabbatier, il est encore dans cette Espèce, je Veux dire Parmi les moines, un Petit nombre d'esprits assés Bienfaits, qui ont sçu se Préserver de La contagion, qui Lisent vos écrits avec délices, et adoucissent Par ce moyen, les amertumes inséparables de La Vie monacale.
Continués Respectable et généreux Ami des hommes à nous Prècher La Bienfaisance et L'horreur de la Persécution. Quel sera le Monstre Pervers et endurci, que vos sages Léçons ne Rendront pas meilleur? Ah! s'il est encore dans le Monde tant d'âmes atroces et cruëlles, si Le fanatisme et L'intolérance, ont encore tant de Malheureux Partisants, C'est qu'on ne Vous lit Point.
Je Me Rappellerai toute ma Vie, qu'un de mes confrères, un moine, étant un jour entré dans ma chambre, et M'ayant surpris un de vos livres entre les Mains, Me dit d'un Ton fort courroucé, Que faites Vous là misérable? Vous lisés Voltaire! Vous le Voyés, lui Répondis je Modestement, quel Mal y a t'il à Cela? Vous ne sçavés donc Pas, Repartit Le Caffard, que C'est un Livre défendu? Et Pourquoi L'a t'on défendu? C'est . . . c'est que Voltaire est un huguenot et un athée. En vérité je ne M'en étais Pas apperçu, Lui dis je en souriant. Mais L'avés vous Lu vous, Pour en Parler ainsi? Oh! je M'en garderai Bien, il faut Pour Cela une Permission du Pape, ou du vice légat d'Avignon. Eh! Bien je Tâcherai de me la Procurer, Lui dis je, en Attendant Permettés moi de finir ce chapitre.
Sçavés Vous, Monsieur, quel était le Moine scrupuleux? Le Plus méprisable coquin de La communeauté, de L'ignorance la Plus complette, et d'un Bassesse de sentiments analogue à cette ignorance et à a Vile extraction, qui s'était chaussés quelques mauvais sermons dans la Tète, et se croyait avec cela un Personnage d'importance;
C'est toujours cette espèce là qui Vous calomnie; et Malheureusement elle est La Plus nombreuse. Il ne faut Pas demander, si cet honnète homme fut Prôner Par Tout, que je Lisais Voltaire, et Par tant, que je n'avais Point de Religion;
Ah! Monsieur si j'avais un Peu de Votre esprit, et que j'osasse Tout dire: Les Belles anecdotes de cette nature, que je Vous apprendrais de la Part de mes chers confrères!
Ces confrères (ne Vous en déplaise) sont des Capucins. J'ai Le Malheur de leur Ressembler seulement quant à L'habit, que je Porte à Regret depuis ma Plus Tendre jeunesse: Mais qui tout Lugubre et tout effrayant qu'il est (Malgré La foule des fanatiques dont je suis environné) ne M'empêchera jamais d'avoir Pour Vous Les sentiments de Respect et d'admiration que les honnètes gens Vous doivent;
Je ne suis ni le frère L'Escarboutier, ni le frère Pediculoso Partant Pour La terre ste, ni son sçavant endoctrineur le gardien de Raguse, le quel m'a Bien fait rire. Je Porte un autre nom, que La Prudence M'oblige de Vous cacher. Mais je suis le plus zélé de Vos serviteurs et de vos adorateurs.
J. C.