10e Auguste 1777, à Ferney
Je n'ai pu, monsieur, vous remercier plus tôt de vos bontés, et des nouvelles instructions que vous voulez bien me donner sur les phénomènes singuliers qui se manifestent dans votre terre.
J'ai été longtemps sur le point de passer du règne animal au règne végétal. Mon vieux et faible corps a été tout près de faire pousser les herbes de mon cimetière; sans cela, je vous aurais remercié plus tôt.
Un jour viendra, monsieur, que vos découvertes détruiront toutes les ridicules charlataneries dont on nous berce. On rougira d'avoir dit que les Alpes et les Pirénées ont été formées par les mers, comme on rougit aujourd'hui de la matière subtile, rameuse, et cannelée de René Descartes.
Notre siècle se vante d'étudier l'histoire naturelle, hélas! il n'étudie que des fables contre nature.
Je vous invite, monsieur, à faire des protestations dans quelque journal sage, et digne de vous, comme le Journal des sçavans. Mon peu d'érudition, mon âge, et les maladies qui me persécutent, ne me permettent pas de vous seconder, et ne m'empêchent pas d'être infiniment sensible à votre mérite, à votre amour de la vérité, et aux services que vous êtes à portée de lui rendre.
J'ai l'honneur d'être avec respect, monsieur, vôtre très humble et très obéissant serviteur.
Voltaire