1777-08-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean de Vaines.

Il vous est échappé, monsieur, une fois de me flatter de l'espérance d'une certaine apparition dans le mois d'auguste, vulgairement août dans la langue des Welches.
Plus je me sens indigne d'une telle visite, et plus je la désire. Je sais bien qu'un pauvre vieillard n'est point fait pour les sociétés les plus aimables, mais il ne les aime pas moins. J'ignore encore si les affaires publiques vous permettront de vous écarter de Paris. J'ignore ce que font vos anciens amis; j'ignore tout dans ma solitude profonde. Je suis dans une espèce de tombeau entre le mont Jura et les grandes Alpes, livré aux souffrances compagnes de la vieillesse, et me repentant comme tant d'autres d'avoir très mal employé ma jeunesse. Si vous voulez venir me ressusciter, vous ferez une très bonne action.

Permettez du moins que je vous adresse ce petit paquet pour m. d'Argental. Il est assez bon pour m'aimer depuis soixante et dix ans, et c'est le seul ami qui me reste dans Paris. Vous me faites sentir combien il serait doux d'en avoir deux. Je ne crois pas commettre une indiscrétion en vous adressant un si gros paquet; vous avez bien voulu depuis longtemps m'accoutumer à prendre avec vous ces libertés.

Agréez, monsieur, tous les sentiments qui m'attachent à vous. Tout le monde m'assure qu'ils seraient bien plus forts si j'avais eu l'honneur de vous voir, comme j'ai eu celui de recevoir de vos lettres.

V.