1777-08-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis Élisabeth de La Vergne, comte de Tressan.

J'ai jugé, monsieur, que vous n'aviez point reçu une lettre que je vous avais écrite pour vous remercier d'un présent très précieux pour moi, dont vous m'aviez honoré.
Il y a quelquefois dans les bureaux des gens un peu trop curieux.

Je prends aujourd'hui le parti de ne me confier qu'au confesseur et martyr m. de Lisle qui prend son plus long pour retourner à Paris. Il est impossible de ne pas s'intéresser à lui dès qu'on a le bonheur de le connaître. Si ceux qui l'ont persécuté avaient pu vivre quelques jours avec lui, ils seraient devenus ses plus ardents défenseurs.

Je pense qu'à présent il n'y a rien de mieux à faire que de tâcher d'avoir une place auprès d'un souverain qui me paraît avoir besoin d'un homme comme lui. M. d'Alembert peut le servir très efficacement, et je ne m'y épargnerai pas: car si je suis rentré en grâce auprès de ce prince si connu en Europe par ses armes victorieuses, par son coffre-fort, et par sa manière de penser, je dois faire usage de ce petit moment de bonne fortune pour servir votre ami, et j'ose dire à présent le mien.

Il est vrai que les agréments de sa société sont plus faits pour la France que pour l'Allemagne; mais je ne vois à présent de porte ouverte pour lui, que celle que je propose. Il trouvera dans Paris des soupers, des plaisanteries, des amis intimes d'un quart d'heure, des espérances trompeuses, et du temps perdu. Peu de personnes savent comme vous consoler leurs amis par des services toujours constants.

Si vous approuvez mon idée, vous l'appuierez sans doute auprès de m. d'Alembert, et nous parviendrons à la faire réussir.

Que puis je à présent vous souhaiter de mieux, monsieur, après que vous avez fait du bien? Jouissez de vous même, de votre repos, de vos amis, de votre réputation, et de tous les amusements qui rendent la vie tolérable. Mes montagnes chargées de neiges éternelles saluent de loin votre belle vallée de Montmorenci, et ma décrépite vieillesse s'incline profondément devant vous avec le respect le plus tendre.