1777-07-10, de Paul Claude Moultou à Jakob Heinrich Meister.

 . . . Pour vous continuer notre relation, nous vous ajouterons que monsieur de Voltaire, devant toujours exercer sa bienfaisance envers quelqu'un, n'ayant plus le père Adam, & étant brouillé avec madame Dupuy, ci-devant made-moiselle Corneille, a pris chez lui mademoiselle de Varicourt, fille de condition, dont le père est officier des gardes du corps, mais pauvre & chargé d'une nombreuse famille.
Il l'a couchée sur son testament, & l'aurait voulu marier à son neveu, monsieur de Florian. C'est une fille aimable, jeune, pleine de grâces & d'esprit. Elle est en embonpoint, & c'est quelque chose de charmant de voir avec quelle paillardise le vieillard de Ferney pui prend, lui serre amoureusement & souvent ses bras charnus.

Il ne faut pas vous omettre que dans notre conversation nous fûmes supris de le voir s'exprimer en termes injurieux sur le parlement Maupeou, qu'il a tant prôné; mais nous avions avec nous un conseiller du parlement actuel, & nous admirâmes sa politique.

Du reste, on nous a rapporté deux bons mots de cet aimable Anacréon, qu'on nous a donnés pour récents, & qui vous prouveront que son attaque d'apoplexie, qui ne consistait que dans des étourdissements violents, n'a pas affaibli la pointe de son esprit. Madame Paulze, femme d'un fermier général, venue dans ces cantons où elle a une terre, a désiré voir monsieur de Voltaire; mais sachant la difficulté d'être introduite, elle l'a fait prévenir de son envie; & pour se donner plus d'importance auprès de lui, a fait dire qu'elle était nièce l'abbé Terray. A ce mot de Terray, frémissant de tout son corps, il a répondu: ‘Dites à mad. la Paulze, qu'il ne me reste plus qu'une dent; & que je la garde contre son oncle.’

Un autre particulier, l'abbé Coyer, dit on, ayant très indiscrètement témoigné son désir de rester chez m. de Voltaire, & d'y passer six semaines; celui-ci l'ayant su, lui dit avec gaieté: ‘Vous ne voulez pas ressembler à dom Quichotte; il prenait toutes les auberges pour des châteaux, & vous prenez les châteaux pour des auberges.’