1776-08-18, de Trophime Gérard de Lally-Tolendal à Voltaire [François Marie Arouet].

Les bontés du Roi, Monsieur, la promesse formelle qu'il m'a fait écrire de sa part d'une protection spéciale et suivie, le recouvrement total des titres destinés à constatter mon état m'ayant fait concevoir l'espérance la plus fondée de remplir enfin le plus sacré de mes devoirs, et de rendre à la mémoire de mon père ce qui est dû à sa vertu, il serait essentiel pour moi d'avoir quelques manuscrits que j'ai eu l'honneur de vous envoyer, notamment les cent soixante chefs d'accusation distingués par numéro, avec sa réfutation en marge.
Je vous prie donc, Monsieur, de vouloir bien me les renvoyer ainsi que ce qui peut vous rester des lettres que j'eux alors l'honneur de vous écrire. Plusieurs contiennent des notes importantes dont je n'ai pas à beaucoup près des copies éxactes; quelqu'intérêt que je doive prendre aux faits qu'elles renferment, il y a eu une si grande multiplicité d'horreurs dans cette déplorable affaire, qu'il ne serait pas étonnant que j'en eûsse oublié quelqu'une, et il faut que les auteurs de cet infâme jugement boivent jusqu'à la fin le calice d'amertume et d'opprobre qu'eux mêmes se sont versé. Quant aux notes postérieures à l'impression des fragments sur l'Inde, je n'en ai aucun besoin, en ayant gardé un double éxactement transcrit. Mes demandes, Monsieur, portent uniquement sur les envois qui ont précédé cet ouvrage: je m'impose en en parlant, la loi de vous renouveller toute la reconnaissance qu'il m'a inspirée. Ce sont de ces devoirs dont on trouve le joug bien léger, L'accomplissement bien doux, et l'expression bien difficile. Heureusement il est un langage des âmes qui ne se peint point, mais qui se sent et se devine: c'est celuilà qui m'acquittera auprès de Mr De Voltaire. Je ne doute point que l'objet de cette lettre ne le comble de joye. Un Philosophe ami de l'humanité doit sourire à tout ce qui peut essuyer les larmes auxquelles elle est si souvent condamnée. Je croirais l'offenser en lui demandant le secret; il sent combien la circonspection est nécessaire au succès de mes démarches, et le vengeur de Calas doit au moins faire des vœux pour la mémoire de Lally. Il a fait plus sans doute. A Dieu ne plaise que je l'oublie et que mon cœur se dérobe jamais aux sentimens inviolables avec les quels j'ai l'honneur d'être, Monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur

Le Cte de Lally Tolendal
capitaine au Régmt des cuirassiers du Roi,
Paris, rüe Ste Hyacinthe, Place st Michel

P. S. J'envoye à Monsieur de Voltaire une Copies de la lettre que j'ai écrite au Roi, à laquelle S. M. a répondu en me faisant écrire de sa part qu'elle approuvait mon projet et m'autorisait à me pourvoir par devant tous les Tribunaux.