Paris 2 août 1776
Ne me parlez jamais, Monsieur, de bontés.
Ce mot ne peut être employé que de moi à vous qui voulez bien recevoir mes Lettres, qui daigne y répondre, qui me marquez de la confiance, et qui m'honorez Par des marques d'estime et de bienvaillance dont je connois le Prix.
Voilà la copie mal écrite des vers dignes d'un grand Poète et d'un grand homme: ces vers bien des gens les savent par coeur.
J'ai vu votre Diatribe à Mr D'Argental contre cette traduction barbare d'un farceur barbare: l'ambassadeur de Naples qui dînoit chez moi lorsqu'on l'a lue s'est écrié, Il faut imprimer, il ne faut pas laisser ces impertinences impunies, il ne faut pas que ce Sakespear usurpe une gloire qu'il est si loin de mériter et que les maitres de la scène restent sans vengeance: mais avez vous eu la patience de lire quelques pages de cette misérable traduction? avez vous vu comme ce Tourneur n'entend ni l'anglais, ni le français? aves vous vu comme il rend des facéties dégoutantes Par de plates élégies? comme il manque d'harmonie, de goût, et de sens?
Eh bien monsieur, vous avez donc le Kain qui joue icy si rarement et qui nous prive de la représentation de vos chefs-d'oeuvres immortels? Recommandez lui de céder à nos instances, de débiter Plus rapidement, de ne point changer de vers dans le rôle sublime de Vendome, de ne Pas exiger Pour se charger d'un Rôle qu'il soit le Principal de la pièce, de songer aux convenances de l'âge, de la figure, et de se rappeller qu'il n'y avoit pas un rôle médiocre pour mlle Clairon.
Pardon, Monsieur, de tout ce verbiage, et ne doutez Pas que vous n'ayez en moi un serviteur bien zélé qui désire Passionnément vous donner des preuves du plus tendre et du plus respectueux attachement.