19e xbre 1764 à Ferney
Remontre très humblement François De V. l'aveugle à son héros,
1º Que son héros n'a pas autant de mémoire que d'imagination et de grâces; qu'il daigna mander le 1er sept: à son vieux courtisan, Vous êtes, et serez toujours le maître des rôles de toutes vos pièces. C'est un droit qui vous serait moins disputé qu'à personne, et une loi où l'on obéïra en vous battant des mains; je le veux absolument.
Voilà les propres paroles de Monseigneur Le Maréchal.
2º que ces propres paroles étaient en réponse d'un placet présenté par l'aveugle, dans lequel le dit aveugle avait suplié son héros de lui permettre de faire une nouvelle distribution de ces rôles.
3º Que le dit supliant a été depuis environ quarante ans en çà berné par son dit héros, le quel lui a donné force ridicules le plus gaiement du monde.
4º Que le dit pauvre diable ne mérite point du tout le ridicule d'être accusé d'avoir entrepris quelque chose de sa tête dans cette importante affaire, et qu'il n'a rien fait, rien écrit que muni de la permission expresse de son héros, et de son ordre positif, qu'il garde soigneusement.
5º Qu'il écrivit en conséquence au grasseieur Grandval, qu'il instruisit le dit grasseieur de la permission de Monseigneur le Maréchal, et que partant, il est clair que le berné n'a manqué à aucun de ses devoirs envers son héros le berneur.
6º Qu'il n'a consulté en aucune manière Parme et Plaisance, sur les acteurs et actrices du tripot de Paris, mais que sur le raport de plusieurs farceurs, grands connaisseurs, barbouilleurs de papier et autres grands personnages, il a distribué ses rôles selon toute justice sous le bon plaisir de Monseigneur le maréchal, et des autres gentilhommes de la chambre, ce qu'il a expressément recommandé dans toutes ses Lettres aux connaisseurs représentans le parterre.
7º Qu'il n'a envoié au grasseieur ses dernières dispositions, sous une envelope parmesane que pour éviter les frais de la poste au grasseieur, et pour faire parvenir la Lettre plus sûrement, une première ayant été perdue.
Ces sept raisons péremptoires étant clairement exposées, le suppliant espère en la miséricorde de son héros, et en ses plaisanteries.
Il suplie son héros d'éxaminer la chose un moment de sang froid, sans humeur et sans bons mots, et de lui rendre justice.
Il y a plus de quinze jours que j'ai écrit pour faire venir quatre éxemplaires de ce cher Julien l'apostat pour vous en faire parvenir un par la voie que vous m'avez ordonnée.
Vous croiez bien que j'ai reçu de mon mieux l'ambassadeur de madame d'Egmont. Je vois que vôtre voiage dans mon païs de neiges est assez éloigné encor; mais si jamais Madame d'Egmont veut passer le mont Cenis et aller à Naples, je me ferai prêtre pour l'accompagner en qualité de son aumônier Poussatin. Je suis honteux de mourir sans avoir vu le tombeau de Virgile, la ville souterraine, St Pierre de Rome, et les façèties papales.
Je met mets aux pieds de mon héros avec une extrême colère, un profond respect, et un attachement sans borne.
V.