1776-07-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean de Vaines.

En vous remerciant monsieur des papiers que vous avez eu la bonté de m'envoier, et surtout des témoignages d'amitié qui accompagnent cet envoi.
C'est cette amitié qui m'est chère. Que je voudrais me trouver chez vous avec les personnes illustres dont vous me parlez! La vieillesse, les maladies, les chagrins me retiennent dans ma retraitte. J'y étais soutenu par la bien veillance d'un homme dont je regreterai à jamais la perte. J'y languis àprésent, je n'y attends que la mort.

Je cherchais de la consolation dans les belles lettres, je n'y trouve qu'un surcroit d'accablement. Je vois qu'il n'y a de succès à Paris qu'à l'opéra comique ou à la tragédie anglaise. On abandonne Racine et Corneille pour Shakespear. Je fis connaître autrefois Shakespear en France; et on se sert pour me battre, des armes que j'ay fournies moy même. On s'efforce de faire regarder Pirron pour un grand homme pour rabaisser ceux qui ont illustré le dernier siècle. Enfin je ne reconnaitrais plus Paris. Il faut que je vous parle Monsieur de je ne sçais quelle lettre en vers médiocres que j'écrivis à un homme qui certainement n'est pas médiocre, il y a près de deux mois. Je n'en gardai point de copie. On me dit qu'elle a couru. Si elle est parvenu jusqu'à vous je vous supplie de vouloir bien m'en faire avoir une copie, afin que je voie combien j'ai été téméraire. Je ne me souviens pas d'avoir rien mis dans ce petit écrit qui pût déplaire à personne, et je souhaite que cet écrit ait pu être approuvé de vous s'il est tombé entre vos mains.

Conservez moy des bontés dont je sens tout le prix.

V.