1776-05-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à comtesse de Vidampierre.

Madame,

J'ai peur d'avoir perdu vôtre adresse; mais je ne perdrai jamais le souvenir des bontés dont vous m'honorez, et des nobles sentiments que j'ai admirés dans vôtre lettre.
Je ne suis point inquiet de l'affaire de Mr De Lille de Sales, puisque vous le protègez. Vous êtes d'un sang à qui les belles lettres et la philosophie auront une obligation éternelle. J'ai un neveu nommé d'Hornoy, conseiller au parlement, qui prend le parti de Mr De Lille comme moi même, et qui sera à vos ordres. Il parait que le tems des Anitus est passé. Vous contribuerez plus que personne, Madame, à faire règner la raison, car on me dit que vous l'ornez de toutes les grâces qui assurent son triomphe. Les hommes ne sont gouvernés que par l'opinion, et cette opinion dépend du petit nombre de personnes qui vous ressemblent; c'est par leurs charmes et par la force de leur esprit, que le public est dirigé sans même qu'il s'en aperçoive. Je maintiens qu'il suffit de trois ou quatre dames comme vous pour rendre une nation meilleure et plus aimable. Je sens combien votre Lettre aurait de pouvoir sur moi si on pouvait se réformer à mon âge.

Je suis avec un profond respect.

Madame

Vôtre très humble et très obéissant serviteur

le vieux malade de Ferney V …