Tout malade que je suis, monsieur, et quoique je ne puisse écrire, je ne peux me priver du plaisir de vous marquer tous les sentiments de reconnaissance et d'estime que je vous dois.
Moins je mérite les beaux vers dont vous m'honorez, et plus je les admire. Vous me faites voir que la véritable poésie embellit tout ce qu'elle veut. Que ne ferez vous point quand vous traiterez des sujets plus dignes de vous? Il me semble que les belles lettres fleurissent plus que jamais en Italie; personne ne peut contribuer plus que vous, monsieur, à maintenir votre patrie dans la supériorité qu'elle a eue si longtemps. C'est une vraie peine pour moi de n'avoir point vu ce beau pays qui a enseigné les beaux arts au reste de l'Europe; mais je suis trop vieux pour penser à voyager, et trop bien dans mes terres pour les quitter. J'admire de loin la patrie du Tasse, et je me trouve à merveille de ne pas dépendre, comme lui, d'un duc de Ferrarre. Je compte écrire à mr Algarotti dès que j'aurai un peu de santé; personne n'est plus touché que moi de l'universalité de ses talents et des grâces de son esprit; il est aussi aimable dans la société que dans ses écrits; je ne suis pas étonné qu'il soit lié avec vous; vous êtes tous deux faits pour vous aimer. Si je n'en croyais que mes sentiments, je me mettrais en tiers. J'ai l'honneur d'être avec toute l'estime et la reconnaissance que je vous dois, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire gentilhome orde de la chambre du roi
27 fév: 1760 aux Délices