11e xbre 1775
Mon cher Marquis, le vieux malade est charmé de vôtre conversion.
Vos Lettres étaient auparavant comme celles de Cicéron ad familiares suos. Si vous vous portez bien, j'en suis bien aise, pour moi je me porte bien, adieu. Vous êtes actuellement plus communicatif, vous entrez dans des détails. Ce que vous me mandez me fait craindre que le succez de Menzicof ne soit encor plus balancé à Paris qu'à Versailles.
Mon ami Laharpe pourait bien, de cette affaire cy voir reculer son entrée dans le temple de nos quarante. Il a eu beau fraper plusieurs fois à la porte de L'académie avec ses branches de Laurier, il va trouver des épines qui lui boucheront cette porte. Ce n'est pas chez nous comme dans le ministère, où les places ont été données au mérite sans cabale et sans bruit.
Je suis fâché de la mort de ce pauvre abbé de Voisenon. Connaissez vous cette petite épitaphe,
Avant d'aller trouver l'abbé, je m'occupe dans mon petit antre de Gex d'une grande affaire dont sûrement personne ne se soucie à Paris, c'est de faire un essai de liberté dans les provinces, et d'arracher le plus petit païs de la France, aux griffes affreuses des supôts de la ferme générale. Il y a soixante rois en France, et je me flatte qu'un jour il n'y en aura plus qu'un, grâce à la probité écclairée, et aux travaux immenses d'un gouteux. J'ignore encor si je réussirai dans ma tentative. Celà sera décidé demain. Je vous écris donc la veille de la bataille. Priez Dieu pour moi.
Dites à Monsieur D'Argental, mon ange, qu'il secoue bien ses ailes. Je suis entre le Te Deum et le De profundis. Je voulais lui écrire, mais le tems me presse. Il faut, tout malade que je suis, aller à nos états faire valoir les bienfaits dont Mr De Sully Turgot veut nous combler, et dont on ne sent pas encor tout l'avantage. Dites, je vous en prie à mon ange, que selon ses ordres charmants, j'ai écrit à M: Le Maréchal De Duras ce matin au sujet de Rome sauvée, quoique les Catilinaires de Cicéron n'intéressent point du tout la Cour de Versailles.
Quand vous n'aurez rien à faire, et que vous aurez la bonté de m'écrire, mandez moi tout ce qu'on fait, et tout ce qu'on dit. Ces fariboles amusent l'écrivain et le lecteur, et ne nuisent à personne.
Adieu, mon cher marquis, si vous vous portez bien j'en suis bien aise; pour moi je me porte mal.
V.