22e 9bre 1775
Mon cher ange, je suis calomnié par Mr De Thibouville, qui nie tout net ma petite apopléxie, et je suis abandonné par vous qui vous en moquez.
Nonseulement vous ne me dites rien des plaisirs que vous avez eus à Fontainebleau, mais vous ne me parlez ni du Lekain, ni du Menzicof. Je ne sais point ce que fait la protectrice de Ferney, Madame De st Julien. J'ignore les dernières résolutions du ministère sur ma petite et très froide patrie de Gex; on y gêle à présent plus qu'en Laponie. Je suis à la glace dans mes Limbes, et vous ne daignez pas me réchaufer.
Dites moi donc si on joue Menzicof à Paris. Nôtre petit tripot philosophique a besoin que Laharpe ait un grand succez. Il faut opposer quelques victoires au triomphe des dévôts. Pour moi, phisiquement parlant, j'ai besoin de vos consolations; car en vérité, quoique Madame De St Julien et Mr De Thibouville en disent, je ne suis point du tout dans une santé brillante.
Je voudrais savoir si Made la princesse de Bareith, Mlle Clairon est à Paris, si elle est venue vous voir. En un mot je gémis de ne point recevoir de vos nouvelles. Peut être au moment que je me plains y a t-il en chemin une Lettre de vous. En ce cas je suis heureux; mais, s'il n'y en a point que deviendrai-je dans ma misère? Vous savez qu'il n'y a que vos lettres qui me consolent de l'éternel malheur d'être à cent lieues de vous.
Portez vous bien, mon cher ange; jouissez de l'agrément de vivre au milieu d'une famille qui vous chérit; jouïssez de vos amis, de vôtre considération, de tous les fruits de vôtre sagesse, et n'oubliez pas vôtre vieux malade de Ferney
V.