à Ferney 30^e 7^bre 1775

Monseigneur,

Je vous demande pardon de vous importuner pour la plus petite province de France, dans le tems que vous vous occupez de mettre l'ordre dans toutes les autres.

M^r De Trudaine nous aiant fait l'honneur de nous écrire conformément à vos vues, et aiant reçu de nos états la soumission signée d'eux il était impossible que les bureaux des fermes qui nous désolent ne fussent instruits et allarmés de vos bontés. Il n'y a point de véxation odieuse qu'ils n'éxercent depuis ce tems là; ce sont des houzards qui mettent le feu à la maison qu'ils vont quitter.

Je ne sais si vous êtes informé que nôtre triste position ne nous a pas encor permis d'avoir un seul marchand dans tout le païs de Gex. Nous sommes réduits à acheter tout le nécessaire à Genêve, comestibles et vêtements. Ce nécessaire est taxé en entrant en France. Celà seul produit tous les jours une infinité de fraudes et de tirannies; Les prisons sont pleines. Les Colons s'enfuient, les maisons que nous bâtissons sont abandonnées, les païs est désolé. Les Commis des fermes persécutent les habitans qui restent. Ils sont punis pour avoir eu recours à vous.

Nous vous demandons en grâce de vouloir bien nous faire ressentir les éffets de vos bontés, ou du moins de nous donner des assurances qui nous consolent.

J'avais commencé à bâtir dixhuit maisons nouvelles à Ferney, pour des familles étrangères qui se présentèrent à nous sur les promesses de M: De Trudaine. Ces familles éffarouchées prennent parti ailleurs; les maisons restent imparfaittes. Les commis des fermiers généraux nous insultent. L'espérance que la province de Gex avait conçue, fait aujourd'hui son malheur. Daignez soutenir vôtre ouvrage, et quand vous faittes du bien à tant de Français, et peut être à des ingrats, n'oubliez pas un coin de terre habité par vos serviteurs les plus fidèles. Je vous conjure de me rassurer par une ligne d'un de vos secrétaires.

Agréez les respect et la douleur du vieux malade de Ferney.