29e auguste 1775, à Ferney, par Geneve
On éxige, Monsieur, que je fasse des démarches en faveur d'une Dame Dhuc, de Béthusy, dont le mari vient de mourir en Saxe d'une mort fort extraordinaire.
Je me souviens d'avoir donné à diner il y a cinq ou six ans à ce Monsieur Dhuc, qui était un marchand de Lyon, retiré auprès de Lausanne.
On m'assure que vous avez été leur médecin, et que vous êtes très bien informé de leurs affaires. Ils avaient une petite maison de campagne auprès de Lausanne nommée Béthusy, et ils ont pris en Saxe le nom de Comte et de Comtesse de Béthusy.
Ce marchand étant mort empoisonné, on soupçonne la veuve et un de ses parens nommé Chavannes, qui avait obtenu un tître de Colonel en Pologne sans avoir servi.
Ce Mr Chavannes après la mort du marchand, se chargea d'abord d'aller voir à Lausanne si le défunt avait fait un testament. Il devait accompagner à Lausanne un fils du défunt. N'aiant point d'argent pour partir il prit quelques diamants de la veuve, la montre, la bague, la tabatière, et le pomeau d'or de la canne du décédé. Mais en partant il dit à la veuve, je ne puis me résoudre à aller à Lausanne, j'ai pensé y être roué pour vous, je ne veux plus m'exposer à ce danger.
Après avoir tenu ce discours, il prit la route de Berlin aulieu de prendre celle de la Suisse. Il fut arrêté, mis aux fers à Berlin, conduit en Saxe, et on instruit actuellement le procez criminel de ce Colonel polonais et de cette marchande, nommée Comtesse de Bethusy.
On m'assure que ce propos de Chavannes, J'ai risqué d'être roué pour vous à Lausanne, n'est pas aussi criminel qu'il parait l'être, et que ces paroles n'ont de raport qu'à une insulte qu'on voulut faire à Lausanne à la prétendue Comtesse, dont ce Chavannes avait pris la deffense. On m'ajoute que vous êtes très instruit de cette affaire.
C'est donc à vous, Monsieur, que je m'adresse avec confiance pour avoir quelque lumière. Je ne dois m'intéresser à une telle avanture, et implorer la protection des puissances en faveur des accusés, que lorsque je serai entièrement au fait, et que j'aurai des preuves de leur innocence. C'est ainsi que j'en ai usé dans les horribles avantures des Sirven et des Calas.
Pardonnez moi donc mon importunité, faittes moi connaître la vérité dont vous devez être instruit, et soiez persuadé de l'estime infinie et de tous les sentiments avec lesquels j'ai L'honneur d'être, Monsieur, vôtre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire gentilhome ord du Roi de France