Monsieur,
Je m'étois bien proposé en arrivant à Geneve d'aller vous importuner de mes assiduités et peut être de vous demander une chambre, un dans votre hôtel pour vous voir plus à mon aise.
Et je vous attendois ce matin même où vous deviés revenir entendre pieusement la messe de st Pierre chés vous. J'avois cependant envoyé chés mr. de Voltaire une lettre que j'avois pour lui. Au lieu d'une réponse sur le temps et le jour où je pourrois l'aller voir son carosse est venu en grande hâte me prendre pour me mener coucher à Ferney et m'y voilà trop éloigné de vous et sans beaucoup de facilités pour m'en rapprocher. Il faut pourtant que je vous voye, que j'aille vous demander à diner. Ne viendrés vous pas vous même diner à Ferney? Ne me dirés vous pas comment je dois m'y prendre pour ne pas venir à Geneve sans avoir le plaisir de vous y voir et de donner de vos nouvelles à nos amis communs? J'ai pourtant moins de scrupule de ne pas jouir de l'hospitalité que j'aurois trouvée chés vous quand je pense que je vous reverrai et probablement bientôt rendu à Paris à notre société au lieu que le vieillard de Ferney ne me laisse pas cette espérance. Ce n'est pas que je ne l'aye trouvé plein de vie et de santé et de gaieté sans laquelle la vie et la santé ne sont rien, mais enfin il a 82 ans sonnés comme il me le disoit ce matin et à cet âge il ne faut compter sur rien. Ayiés la bonté de me faire un mot de réponse ou de me faire dire simplement quand vous viendrés à Ferney et quand vous voulés que j'aille vous demander à diner. Recevés tous les respects de
votre très humble et très obéissant serviteur
L'abbé Morellet
jeudy 29 [June 1775] à Ferney