24e avril 1775
Vous m'avez envoié, Monsieur, une Tragédie en vers; permettez que je vous en adresse une en prose.
Si vous avez le tems de la lire avant de la remettre entre les mains de Mr De Condorcet vôtre ami, vous trouverez le sujet bien intéressant et bien terrible. C'est une pièce qui ne peut encor être représentée, et qui le sera peut être au Sacre du Roi.
Je crois qu'il y a une grosse cabale contre cet ouvrage; mais j'espère que les honnêtes gens le favoriseront, et que vous serez à leur tête. Pour moi je ne puis faire que des vœux secrets, je ne puis paraître, et c'est là ma douleur. Cette pièce m'a fait verser bien des larmes. Puissent-elles ne pas être inutiles!
Vous trouverez, Monsieur, dans ce paquet une Lettre à Mr De Condorcet avec des papiers pour Mr De Beaumont l'avocat. Vous verrez que ma triste destinée est depuis longtemps d'oser élever ma voix contre les barbares oppresseurs de l'innocence. Vous frémirez peut être, mais votre suffrage poura faire réussir la pièce. Que ne puis-je être auprès de vous avec Mr Le Marquis De Condorcet et Mr de La Harpe!
J'ai l'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois, Monsieur, vôtre très humble et très obéissant serviteur
Le vieux malade de Ferney V.
Si par un hazard malheureux Mr De Condorcet n'était point à Paris, je vous suplie de vouloir bien faire rendre à Mr Elie de Beaumont le paquet qui contient cette pièce tragique, avec la Lettre de Mr D'Etallonde, et la mienne que vous trouverez envelopée dans celle que j'écris à Mr le Marquis de Condorcet.