1775-03-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean de Vaines.

Vous me faites, monsieur, un présent qui m'est bien cher.
J'avais déjà le portrait de m. Turgot; mais j'ai fait encadrer celui que je tiens de vos bontés, et je l'ai mis au chevet de mon lit, à cause des vers de mr Delaharpe. Non seulement ces vers sont bons, mais ils sont vrais, ce qui arrive fort rarement à mrs les contrôleurs généraux. J'ai placé cette estampe vis à vis de celle de Jean Causeur. Ce n'est pas que Jean Causeur vaille mr Turgot, mais c'est qu'on l'a gravé à l'âge de cent trente ans. Quoique je me sois confiné au pied des Alpes, entre la Savoie et la Suisse, j'aime encore assez la France pour souhaiter que Turgot vive autant que Jean Causeur.

Je vous sais bien bon gré, monsieur, de cultiver les belles lettres qui sont d'ordinaire l'opposé de votre administration. L'agriculture dont je fais profession n'y est pas si contraire; mais l'aridité des calculs est presque toujours l'ennemie mortelle de la littérature. Heureux les esprits bien faits qui touchent à la fois à ces deux bouts!

Je vous remercie de vos bontés. J'ai l'honneur d'être avec l'estime la plus respectueuse mr v. t. h. o. s.

Voltaire