1774-11-17, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Baptiste Nicolas de Lisle.

Le bon vieillard, Monsieur, qui n'attend plus que le moment de quitter ce drôle de monde, vous aimera jusqu'à la fin de son rôlet.
Vous faittes très bien de rester jusqu'en décembre auprès d'un Prince avec qui il faudrait passer sa vie. Je vous en félicite, mais ma foi je le félicite aussi. Si j'étais jeune j'enverrais tous les jours des marcassites de mes montagnes à Monsieur de Fontanelle, ou de Fontenelle, pour en faire des diamants.

Je connaissais le conte plaisant mis en vers avec tant de délicatesse par un homme qui n'a jamais sacrifié qu'aux grâces et à la raison.

Je vous remercie bien de m'avoir débarbouillé dans le conclave. Il faudrait que votre Cardinal fût bien peu de ce monde pour me croire l'auteur d'un ouvrage, dans le quel on loue un homme d'esprit, uniquement pour sa géométrie. D'Alembert n'a pas eu la fatuité de se louer ainsi lui même. Le fond de cette brochure, aujourd'hui entièrement oubliée comme toutes les autres, est d'un abbé Du Vernet qui ne sçait pas ce que c'est qu'un triangle. Il a été revu, corrigé et augmenté par Mr De Condorcet qui le sçait très bien, et qui a un génie supérieur.

J'écris à Mr de Fontenet, comme vous dites, avec la marque. Mais pourquoi Fontenet? est-ce qu'il y a un Fontenet outre un Fontanelle? Je serais bien charmé qu'il y eût beaucoup de ces gens là qui pensent si bien.

Quand vous reviendrez des Deux Ponts ne pouriez vous point, Monsieur, me venir donner l'extrême onction en passant? Vous me consoleriez, vous m'égaieriez, vous me feriez vivre; c'est une belle action digne de vous. Il est vrai que je n'en suis pas trop digne dans l'état où je suis; mais votre charité n'en serait que plus méritoire.

Madame Denis vous fait mille compliments; elle joint ses prières à celles du vieux bon homme.