à Soleure le 29 Janvier 1774
C’est beaucoup exiger, Monsieur, de votre complaisance et de vos bontés pour moi, c’est peut-être même en abuser, que d’oser vous prier de vouloir bien perdre quelques minutes à Lire une espèce de petite harangue qu’il faut nécessairement que je prononce à L’ouverture de la prochaine Diète que je vas avoir à Soleure.
Les trize Cantons ont demandé au Roi des Conférences sur L’exemption de la Capitation; ils prétendent sans raison et sans titres que les Suisses non Militaires, commerçans et domiciliés en France, n’y doivent pas payer cette imposition; tandis que les personnes les plus privilégiées, pas même les Princes du sang n’en sont exempts. Il n’y a que les Suisses qui puissent avoir de pareilles prétentions. Je suis chargé par état d’en Discuter la matière avec Mrs les Députés des treize Cantons, et je les attends avec La Confiance qu’inspire une bonne Cause. J’ai de si bonnes raisons à leur opposer, que je crois être sûr de les Convaincre, mais je ne me flatte pas de les persuader.
Daignez, Monsieur, jettés les yeux un moment sur le petit discours que je prends la liberté de vous adresser et que vous trouverez ci joint; je vous prie de n’en parler et de ne le montrer à personne; ayez la bonté d’y faire les corrections que vous jugerez nécessaires et de me le renvoyer ensuite.
Je n’ai certainement, ni ne puis avoir dans ce genre aucune sorte de prétention; mais dans ce que j’ai à dire et qui doit paroître en public je voudrois être Correct, avoir un ton noble, décent, et autant qu’il me Convient celui de la chose. Si mon petit discours peut mériter votre suffrage, je serai sûr d’y avoir réussi.
J’ai ici avec moi un de mes amis qui voudroit quelques légères corrections. Je les ai marquées en marge par des variantes. Votre avis me décidera.
Je vous demande, Monsieur, un million de pardons: il faut être assurément L’indiscret par excellence pour entretenir d’une pareille misère L’auteur de la Henriade et de Mérope, qui honore sa patrie et son siècle; mais les bontés que vous m’avez toujours marquées m’ont Enhardi et me font espérer que vous me pardonnerez et mon indiscrétion et mes importunités.
J’ai L’honneur d’être avec un sincère et inviolable attachement, Monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur.
Le cher de Beauteville