1754-05-17, de Philibert Cramer à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

Nous avons reçû la Lettre que vous nous avez fait l'honneur de nous écrire, qui renfermoit des Cartons pour le premier Volume des Annales.
Nous en avons fait usage, et nous vous en sommes trez obligez: Nous vous demandons la même faveur pour le Tome Second, que nous allons donner à l'Imprimeur; et dans lequel il peut s'être glissé quelques erreurs à la première Edition.

Il y en a une entr'autres qui nous a frappé en le lisant; Vous dites Monsieur pag: 209

Les Habitans du Vallais sont mis au ban de l'Empire pour n'avoir pas payé les taxes; ils en sont exempts aujourd'hui qu'ils appartiennent au Canton de Berne.

La petitesse de l'Objet, et l'éloignement des lieux, ont occasionné cette erreur: Le Vallais est un paÿs libre, et indépendant, qui se gouverne par ses propres Loix, et qui est allié du Canton de Berne; comme la République de Genève.

Nous avions eu l'honneur de vous écrire, il y a un mois; et il ne paroit pas par la tournure de vôtre Lettre, que vous ayez reçû la nôtre: Nous avions joint au paquet qui renfermoit nôtre Lettre, et celle de Monsieur le Professeur Vernet, un petit Ouvrage de Métaphysique, sur lequel l'Autheur auroit souhaité avec empressement d'avoir vôtre jugement: Nous vous prions, Monsieur, si vous avez eu le loisir de le lire, de nous en dire vôtre avis. Les Principes nous en ont paru justes, et les conséquences bien déduites. Il y a quelques hipothèses qui peuvent paroitre hardies aux Théologiens, mais qui ne déplairont pas aux Philosophes. Ce petit ouvrage là est bien imprimé, et vous verrez par cet Echantillon, que nous sommes en état de donner au Public de belles Editions: Nous en avons fait une en neuf Volumes in 4. de toutes les Oeuvres de Ciceron en Latin, avec le Commentaire de Mr d'Olivet, qui a été goûtée du Public, soit pour la beauté du papier, soit pour celle des Caractères, soit enfin pour la Correction. Elle a été préférée en Angleterre à ce dernier égard, à celle de Paris: Nous en faisons une nouvelle Edition, qui surpassera la première. Si vous étiez dans l'intention de donner au public une Edition de vos Ouvrages, qui par sa beauté répondit au mérite de l'Objet, nous serions bien empressé à vous seconder dans cette vuë là, et le plaisir de consacrer à la postérité des ouvrages dont la Lecture nous procure tant de plaisir tous les jours, seroit un plus fort éguillon pour nous que les vuës d'Intêrets qui certainement seroient remplies.

Si comme on nous l'a dit, vous travaillez à une histoire Universelle? Veuillez Monsieur nous en remettre le Manuscript, et vous pouvez être assuré de nôtre exactitude, et de nôtre attention à le bien éxécuter. L'Empressement avec lequel on nous demandoit vos Annales ne nous a pas laissé le tems de les Imprimer comme elles méritoient de l'étre, mais l'avidité du public satisfaite, nous en ferons une édition décente pour les Bibliothèques.

L'Air de ce paÿs ci est pur, la Société y est douce, les gens de Lettre, et les Savants y sont en grand nombre; leur conversation a ce tour phylosophique que donne la liberté de penser, et de parler, qui est interdite dans les Royaumes: Si vous vouliez, Monsieur, essayer d'y venir rétablir vôtre santé, et y achever l'Ouvrage que vous avez commencé à Colmar, vous combleriez de Satisfaction un Public assés éclairé pour faire de vos Ouvrages sa lecture la plus ordinaire.

Nous en particulier, Monsieur, serions enchantez d'avoir l'honneur de vous y voir, et de vous convaincre par nôtre empressement à vous y être utile, de la parfaite estime avec laquelle nous Sommes,

Monsieur,

Vos très humbles et très Obéïssants Serviteurs

Les frères Cramer