22 mai [1773]
Je vous avais bien dit, mon cher Orphée, que je ne devais pas me presser.
Je ne vous aurais attiré qu’un dégoût et j’en aurais été plus mortifié que vous même. On me mande positivement que celui auprès duquel j’aurais voulu sonder le terrain et qui ne m’a fait aucune réponse a pris le parti de vos ennemis et des miens, et qu’il a fait tout ce qu’il pouvait faire pour nous exclure l’un et l’autre de tous les plaisirs. Il est vrai que les plaisirs ne sont plus faits pour moi, mais ils sont votre apanage ainsi que les talents.
On m’assure que cet homme sur l’amitié duquel je devais certainement compter nous a desservis tous deux violemment auprès de la personne à qui vous me pressiez d’écrire; c’est à vous à savoir jusqu’à quel point cette tracasserie a été poussée; vous êtes discret, vous êtes sage, vous avez des amis, vous connaissez le pays. J’ignore de quels moyens on s’est servi pour me calomnier auprès de l’homme et pour me desservir auprès de la dame. Mais les moyens ne manquent pas aux méchants, tout leur est bon pourvu qu’ils nuisent; ils savent tourner tout en poison.
Tâchez de vous mettre au fait, car je n’ai point de lunette assez longue, et assez nette pour voir les choses de cent lieues; ouvrez votre boîte de Pandore, voyez si quelques uns des malheurs qui m’appartiennent sont retombés sur vous et s’il vous reste l’espérance. Pour moi je suis bien sûr qu’il ne me reste au fond de la boîte que la tendre amitié qui m’attache à vous, la triste connaissance de la méchanceté des hommes et la volonté bien déterminée de faire tout ce que vous me prescrirez en connaissance de cause, je dis en connaissance de cause, car certainement il ne faut se permettre dans cette affaire aucune démarche, si vous n’êtes pleinement sûr du succès.
Je vous embrasse, mon cher ami, avec autant de douleur que de tendresse et avec une résignation infinie.