Paris ce 16 mai 1773
Je vous dois bien des remercîmens, mon illustre maitre, d’abord pour m’avoir procuré l’avantage de connaître monsieur L’abbé Mignot qui m’a témoigné toutes sortes de bontés dans le procès pour ma mère que je viens de gagner, et ensuite pour m’avoir envoié les loix de Minos avec tout ce qui les accompagne.
L’auteur des petites hardiesses a bien eu raison de s’élever contre le panégyrique de ce Louis qui avait la morale d’un moine et la politique d’un tyran. C’est une chose digne de remarque selon moi que jamais la religion chrétienne n’ait placé dans le Ciel que des rois persécuteurs, ou des princes qui déshonoraient Le trône par des vertus de Capucins. La lettre de ce Clement est excelente. Voilà son opprobre écrit de sa propre main. Il n’en rougira pas, mais ses protecteurs rougiront, et si parmi les ennemis de la Philosophie il y a quelques honêtes gens qui la craignent come des yeux trop délicats craignent la lumière, ils n’oseront plus rester dans un parti qui n’a pour chefs come pour protecteurs que des homes chargés du mépris ou de la haine publique.
Le bruit s’est répandu il y a quelques semaines que m. de Lalande avait dit qu’il n’était pas absolument impossible qu’une comète vînt choquer la terre. Aussitôt La frayeur s’est emparée des esprits, les femmes de La cour et celles de La halle ont couru à confesse, et il s’est fait une grande consommation de pains azimes, ce qui est un grand bien, car les marchands de cette espèce de denrée se plaignent que ce commerce tombe tous les jours. Il n’y en a pourtant point de meilleur selon tous les principes de L’économie politique, puisqu’on ne peut nier que La matière première ne soit bien peu de chose et que la main d’œuvre n’en fasse tout Le mérite.
Avez-vous reçu, mon cher et illustre maitre, une lettre où je vous mandais que j’avais été élu secrétaire de L’académie des sciences en survivance? Quand on n’est pas assez heureux pour demeurer au mont Crupak, et pouvoir dire de là tout ce qu’on pense, quand on a pas reçu une voix assez forte pour se faire entendre du fond de sa retraite aux tyrans de toutes les robes et Les faire trembler au milieu de leurs esclaves, alors on peut regarder une place de cette nature come un moyen de faire sourdement le peu de bien que L’on peut faire. Adieu, mon cher et illustre maitre, croyez que persone n’est plus sensible à votre souvenir, ne vous aime, ne vous admire davantage du fond du coeur, et ne vous est plus inviolablement uni non en Jesus christ mais en Teucer dans l’amour de la vérité, de l’humanité, et dans la haine pour leurs ridicules et atroces ennemis.
C.
rue de Louis le grand
M. d’Alembert me charge de vous dire qu’il a reçu et distribué les exemplaires des loix de Minos.