1773-01-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Le Rond d'Alembert.

Oui, mon illustre Bertrand, j’ai lu l’annonce qui se trouve dans la gazette littéraire des Deux Ponts par Mr De Fontanelle.
Jamais Mr De Fontenelle n’aurait osé en dire autant. La diatribe de l’avocat Belleguier ne poura partir, à ce qu’il m’a mandé, que Mercredi prochain 27 du mois. Ce pauvre avocat tremble. Il a les meilleures intentions du monde, il n’a dit que la vérité, et c’est pour celà même qu’il tremble. Il dit qu’il vous en enverra d’abord un petit nombre d’exemplaires pour sonder le terrein.

Il avait autrefois une adresse pour Mr de Condorcet, mais il ne s’en souvient pas éxactement; il craint les fausses démarches, il est sur les épines. Il met son sort entre vos mains.

Je suis persuadé que s’il s’était agi d’autres prisoniers Catau aurait fait sur le champ tout ce que vous auriez voulu; mais elle prétendait, et avec très grande raison ce me semble, qu’un homme supérieur en dignité, qui peut être n’est pas philosophe, la prévint sur cette affaire par quelque honnêteté; il ne l’a pas fait, et celà est piquant. Si vous venez à bout d’obtenir ce que cet homme supérieur n’a pas osé demander, ce sera le plus beau triomphe de vôtre vie. J’attends la réponse que vous fera Catau avec la plus grande impatience.

Je ne sais pas précisément ce que c’est que la fête du triomphe de la foi, mais en qualité de bon chrétien, ne pouriez vous point nous faire savoir en quoi consiste cette fête, et quelle victime on y immole? Faittes moi savoir surtout, comment ce pauvre avocat peut faire adresser un paquet à Mr De Condorcet.

La pauvre Raton, qui est très malade, se recommande à vôtre amitié.

NB. Il n’est pas encor bien sûr que Mr Belleguier puisse envoyer sa diatribe le 27, à cause des petits troubles qui règnent encor dans la ville, mais qu’elle se mette en route le 27 ou le 29 il n’importe. Le grand point est de soutenir qu’elle vient de Belleguier et non pas de Raton.