1772-11-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.
Sire vous convenez que la belle Italie
Dans l’Europe autrefois rappella le génie.
Le Français eut un temps de gloire et de splendeur,
Et l’Anglais profond raisonneur
A creusé la philosophie.
Vous accordez à votre Germanie
Dans une sombre étude une heureuse lenteur,
Mais à son esprit inventeur
Vous devez deux présents qui vous ont fait honneur,
Les canons et l’imprimerie.
Avouez que par ces deux arts
Sur les bords du Permesse et dans les champs de Mars
Votre gloire fut bien servie.

J’ajouterai que c’est à Thorn que Copernic trouva la vrai système du monde, que l’astronome Hevelius était de Dantzik, et que par conséquent Thorn et Dantzik doivent vous apartenir. Votre majesté aura la générosité de nous envoier du bled par la Vistule quand à force d’écrire sur l’œconomie nous n’aurons au lieu de pain que des opera comiques, ce qui nous est arrivé ces dernières années.

C’est parceque les Turcs ont de très bons bléds et point de beaux arts, que je voulais vous voir partager la Turquie avec vos deux associez. Cela ne serait peutêtre pas si difficile, et il serait assez beau de terminer là votre brillante carrière, car tout Suisse que je suis, je ne désire pas que vous preniez la France.

On prétend que c’est vous sire qui avez imaginé le partage de la Pologne et je le crois parce qu’il y a là du génie et que le traitté s’est fait à Postdam.

Toutte l’Europe prétend que le grand Gregoire est mal avec mon impératrice. Je souhaitte que ce ne soit qu’un jeu. Je n’aime point les ruptures. Mais enfin puisque je finis mes jours loin de Berlin, où je voulais mourir, je crois qu’on peut se séparer de l’objet d’une grande passion.

Ce que votre majesté daigne me dire à la fin de sa lettre m’a fait presque verser des larmes. Je suis tel que j’étais quand vous permettiez que je passasse à souper des heures délicieuses à écouter le modèle des héros et de la bonne compagnie. Je meurs dans les regrets. Consolez par vos bontez un cœur qui vous entend de loin, et qui assurément vous est fidèle.

le vieux malade V.