1772-05-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Théophile Imarigeon Duvernet.

Il faut bien, monsieur, que chacun fasse son testament; mais vous vous doutez bien que celui qu’on m’impute n’est point mon ouvrage.
L’ancien & le nouveau testament ont fait dire assez de sottises, sans que j’y ajoute les miennes. Mes prétendues dernières volontés sont la production d’un avocat de Paris, nommé Marchand, qui est le loustik du barreau. C’est une espèce de cible qui fait rire quelquefois par ses plaisanteries. J’espère que mon vrai testament sera plus honnête & plus sage. Le malheur est qu’après avoir été esclave toute sa vie, il faut l’être encore après sa mort. Personne ne peut être enterré comme il voudrait l’être. Ceux qui seraient bien aises d’être dans une urne sur la cheminée d’un ami sont obligés d’aller pourrir dans un cimetière, ou dans quelque chose d’équivalent. Ceux qui auraient envie de mourir dans la communion de Marc Aurèle, d’Epictète & de Cicéron sont obligés de mourir dans celle de Calvin, s’ils sont à Genève, & dans celle du pape, s’ils sont à Rome. Cependant, depuis quelques années on meurt beaucoup plus commodément qu’autrefois dans Genéve. La liberté de penser s’y établit insensiblement comme en Angleterre. Il y a des gens qui m’accusent de ce changement. Je voudrais avoir mérité ce reproche depuis Constantinople jusqu’à la Dalécarlie. Il est ridicule & horrible de gêner les vivants & les morts. Chacun, ce me semble, doit disposer de son corps & de son âme à sa fantaisie: le grand point est de ne jamais molester ni le corps ni l’âme de son prochain, supposé que ce prochain ait une âme. Notre consolation après notre mort est que nous ne saurons rien de la manière dont on nous aura traités. Nous avons été baptisés, sans en rien savoir: nous serons inhumés de même. Le mieux serait peut-être de n’avoir point reçu cette vie dont on se plaint si souvent, & qu’on aime toujours. Mais rien n’a dépendu de nous. Nous sommes attachés, comme dit Horace, avec les gros clous de la nécessité etc.