1772-03-04, de Jean François de La Harpe à Voltaire [François Marie Arouet].

Vous me demandés, mon cher papa, pourquoi je ne ferais pas l'éloge du roi de Prusse.
Vraiment je le ferais très volontiers, mais que dirait-on d'un cordélier prédicateur qui refuserait de faire le panégyrique de st François et se chargerait de celui de st Dominique? Serait-il vû de bon œil dans le couvent? Voilà ma raison. D'ailleurs vous ne me répondés point sur les deux autres. On voudrait pourtant avoir vôtre réponse pour se déterminer. Vous parlés de détails militaires. Mais on ne demande aucuns détails de cette espèce. Il s'agit d'un précis de quatre ou cinq pages contenant les principaux événemens et les p͞paux traits de caractère. Voilà précisément pourquoi ce travail demande une bonne plume. Le Talent de l'amplification n'est pas rare aujourd'hui, celui de l'abrégé l'est un peu plus. Je crois dumoins L'avoir lû dans les questions sur L'Enciclopédie à L'article amplification. J'ai reçu Les deux premiers volumes de ces questions et je verrai mr Marin pour les suivantes dont je vous remercie d'avance.

On m'avait bien trompé quand on m'avait donné L'allarme sur cette satyre de Clément. Il n'y a de dangereux dans ce libelle que L'ennui. Imaginés vous la prose de Fréron en rimes, quatre cent vers sans esprit, sans gaité, sans poésie. Il n'est pas possible d'aller jusqu'au bout. Enfin il éprouve ce qui peut arriver de pis à une satire, c'est qu'on n'en parle pas, quoi qu'on la vende en cachette. Je puis en parler sans humeur pour ce qui me regarde. Tout ce qu'on m'y reproche, c'est d'avoir appellé Oreste un chef d'œuvre. En conscience je ne peux pas m'en fâcher.

Avés-vous vû dans le mercure dernier la turpitude d'Aliboron qui a la bétise de mettre Rome sauvée au dessous de Catilina, après avoir fait six ans auparavant le plus magnifique Eloge de Rome sauvée, et dit un mal affreux de Catilina? Quel métier bon dieu! quel excès d'impertinence et D'infamie! et que dites-vous de L'imbécille éditeur de Crébillon qui a la bétise encore plus grande de citer de pareils morceaux! J'en aurais dit davantage sur Crébillon mais non erat hic locus.

Les Pompignades vous ont fait tant rire ainsi que nous! est-ce que vous n'ètes plus gai? Quelque Clémentine du même ton ne serait pas moins plaisante. Il y a bien de quoi rire d'entendre Clément qui fait parler Boileau. Vous avés lû de quoi vous amuser quelques matinées.

Adieu, mon cher papa, vous connaissés mon attachement et mon respect.