1772-02-02, de Voltaire [François Marie Arouet] à Bernard Joseph Saurin.

Nous sommes, mon cher philosophe, un petit nombre d’adeptes qui aimons encor les bons vers.
Vôtre petit recueil, moitié guai, moitié philosophique m’a fait grand plaisir. Comment! vous parlez de la vieillesse comme si vous la connaissiez. Pour moi je sais ce qui en est, j’en éprouve toutes les misères, et avec celà je vous dirai que je n’ai trouvé la vie tolérable que depuis que je vieillis dans ma retraitte.

Vous faittes des vers comme si vous n’écriviez point en prose; et vous écrivez en prose comme si vous ne fesiez point de vers. Vôtre comédie du mariage de Julie est une des plus agréablement dialoguée que j’aie jamais lue.

Adieu, mon cher philosophe, vieillissez, quoi que vous en disiez. Je m’amuse à établir des colonies et à marier des filles, cela me rajeunit.

J’ai toujours oublié de vous demander, si Mlle de Livry nôtre ancienne amie vit encor. Je me souviens que du tems de l’avanture horrible des Calas j’écrivis à Mr de Gouvernet pour le prier de s’intéresser à cette famille infortunée. Il ne me fit point de réponse, et ne voulut point voir Made Calas; il ne mérite pas de vieillir, cependant je ne souhaitte pas qu’il soit mort.

Je vous embrasse bien tendrement.

le vieux malade de Ferney