Monsieur,
Je sens que je m’expose au Vol le plus temmeraire en me licentiant à prendre la liberté de vous écrire, mais pènétré de la lecture de vos ouvrages, ent’housiasmé de leurs beautés, et respirant le désir de vous connoitre depuis L’âge le plus tendre, je cède enfin à la tentation de vous dédier non une Epitre car je n’en suis pas Cappable, mais des homages qui partent du coeur le plus sincer, et j’ose Vous adresser Un tribut qui Vous est si justement dû.
Les Connoisseurs les plus dèlicats, et Ceux même qui courrant la glorieuse carrière des talents ont été jaloux de Votre mérite digne d’être Illustré dans tous les siècles, n’onts peü s’empêcher d’admirer vos rares écrits. Moi à douze ans Votre Henriade me tomba dans les mains. Quand je l’eüs commancé, je la dévorai, un goût domminant pour Cete sublimité et cete force que j’y trouvai m’a fait depuit Vous préférer à beaucoup d’aut’heurs célèbres et je Vous ai toujours lüe avec l’empressement le plus vif, transporté, enchanté, et éprouvant un dèlire délicieux pour Votre Poësie. Le goût des vers me domine aussi, et sans rien savoir je fais mes délices de m’appliquer à lire tout Ce qu’Appollon et les muses peuvent inspirer. Un ardent désir de Compposer me prendroit si j’en avois l’esprit et de plus la sçience. Mais que faire sans errudition, sans talend? Le plus brilland Diamant Lorsqu’il est fini par un habile homme dans Ce Genre ne paroit rien avant sa finition. Ainsi L’esprit le plus fleuri par la belle nature, ne peut rien produire de savant et de Véritablement charman aux yeux des gens de letres, s’il n’a été cultivé avec art. Donc connoissant mon insuffisance par le déffaut de litérrature, je me borne à tout admirer ce que mon foible discernnement me fait juger digne de l’être, et du reste sans chercher à ennuyer par Une rime sans richesse, je me tais. Ceppandant j’ai la fureur d’écrire, je le fais mais pour ne jamais faire paroitre ce que la vivacité de mon immagination produit, ayant èprouvé dans toutes Circonstances les revers les plus sensibles. Sans avoir le goût de la retraite je m’y suis consentré volontairement depuit deux ans. J’en ai vaingthuit, je m’y tiens par raison, et l’amour des beaux ards y fait ma félicité autant qu’on peut en ressantir dans un lieu où Milles choses pourroient sans Cete ressource, inspirer le plus profond ennuy. La musique, Une belle voix et l’ard du chant me disippe. Si Avignon étoit Geneve ou si je pouvois quelque fois m’y transplanter ma solitude fût elle plus noire que l’on ne peint le Royaume de Pluton, deviendroit Un charme ravissant pour moy. Le plaisir de vous y entendre et de converser avec Vous, me tiendroit lieu de tout, si Vous me favorisiés de pouvoir vous voir. Mais sans me représanter Une idé si agréable je Vous demande seulement de Vouloir répondre à cete éternnelle letre; je [p]rofite du rennouvellement de cete anné pour Vous dire que personne n’a jamais fait plus de voeux pour Votre conservation et que je serai toute ma Vie dans les sentimens que j’ai l’honneur de vous exprimer.
Monsieur
Votre très humble et [très] obéiste servante et Votre plus zélé admirarice
Deberisy
à Avignon le 1er janvier 1772
Si Vous m’accordés une réponce Monsieur voicy mon adrese, à mlle Deberisy, penssionnaire au couvant des religieuse de notre dame à Avignon.