ce 19e 8bre 1771
Mon cher et vrai philosophe vous aviez grand besoin de cette philosophie qui console le sage, qui rit des sots, qui méprise les fripons et qui déteste les fanatiques.
Je vois que par tous les règlements qu’on a faits sur les blés on a presque empêché les Welches de manger, et on s’efforce à présent de nous empêcher de penser. La persécution va jusqu’au ridicule, et c’est le partage des Welches que ce ridicule. Il y a une ligue formée contre le bon sens ainsi que contre la liberté. Que vous reste-t-il pour votre consolation? Un petit nombre d’amis auxquels vous dites ce que vous pensez, quand les portes sont fermées. Si vous aviez été en Russie on vous y aurait vu honoré, respecté et enrichi. Vous seriez partout ailleurs qu’à Paris l’ami des rois, ou de ceux qui instruisent les rois, et vous serez chez vous en butte aux bêtises d’un cuistre de Sorbonne, ou à l’insolence d’un commis. C’est dans de telles circonstances que le stoïcisme est bon à quelque chose:
Qui prendrez vous donc pour succéder à notre confrère le prince du sang? Un philosophe vaudrait assurément mieux qu’un prince; mais où le trouver? Gardez vous bien de prendre un mauvais poète, c’est la pire espèce de toutes, et la plus méprisable. Ne pourrez vous trouver dans Paris un homme libre qui ait du goût, de la littérature, et surtout cette honnête fierté qui ne craint ni les prêtres, ni les commis?
Il faut se flatter que les nouveaux parlements seront pendant quelques années moins insolents et moins barbares que les anciens. Voici de petites affaires parlementaires que je vous envoie par un voyageur qui vous les rendra pourvu qu’il ne soit pas fouillé aux portes.
Adieu, mon cher ami, mon cher philosophe; je ne sais comment vous envoyer le 6e et le 7e des questions. Paris est une ville assiégée où la nourriture de l’âme n’entre plus. Je finis comme Candide en cultivant mon jardin, c’est le seul parti qu’il y ait à prendre.
Je vous embrasse bien tendrement.