1776-12-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Jean de Beauvoir, marquis de Chastellux.

J'ai toujours dit, monsieur, qu'il y a de vrais Français parmi les Welches.
Ce sont ces Français-là qui ont mis leur bonheur à lire la félicité publique. Cet ouvrage deviendra le catéchisme de toute la jeunesse de France, qui voudra s'instruire à bien penser et à bien parler. Ce que cet ouvrage, surtout, a d'utile, c'est qu'on y apprend à connaître le gouvernement et le vrai génie des peuplesde l'antiquité, qui valent la peine d'être connus. Rollin ne peut servir qu'à former un petit janséniste, enthousiaste, ignorant, et phrasier. Le livre de la félicité publique peut former un homme d'état.

Je ne savais pas, monsieur, qu'on imprimât un supplément à la grande Encyclopédie, et je vois avec douleur que ce supplément est soumis à la révision de quelques cuistres de la littérature qui ne seraient pas reçus dans les antichambres de la bonne compagnie de Paris. Faut il qu'il y ait toujours en France un mélange si bizarre de ce qu'il y a de meilleur au monde, et de plus méprisable?

Ce qu'on appelle le jansénisme serait une inondation de barbares, si on le laissait faire. C'est une faction d'énergumènes atroces, encouragés par le prétexte, toujours subsistant, de soutenir les droits de la nation contre les anciennes usurpations de Rome, et qui dans le fond voudrait faire brûler le sens commun en place de Grève.

Les presbytériens d'Angleterre, et les anabaptistes de Munster, n'ont jamais été si dangereux que ces marauds là. Ils sont, et ils seront toujours soutenus par quelques pédants en robe qui ne peuvent avoir un reste de crédit qu'en armant continuellement le fanatisme contre la raison.

Rien ne peut mieux soutenir cette pauvre raison, qu'un homme de votre nom et de votre génie. Les jansénistes ont trouvé dans le siècle passé, des hommes de considération qui les ont protégés uniquement pour avoir le plaisir d'être chefs de parti: le temps d'une ambition plus noble est venu. Vous êtes appelé à un beau ministère: celui de rendre sages et heureux les gens qui seront dignes d'être l'un et l'autre.

Continuez, combattez à la tête d'une troupe invincible que le fanatisme peut faire taire quelquefois, mais qu'il ne peut empêcher de penser. Comptez moi, je vous en prie, monsieur, parmi les penseurs qui vous sont attachés avec le plus d'estime, de respect et d'amitié.