1771-10-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Gal.

Le vieux malade, monsieur, est bien sensible à votre souvenir.
Le ministère est trop occupé des parlements pour songer à persécuter les dissidents de France. On laisse du moins fort tranquilles ceux que j'ai recueillis chez moi; ils ne payent même aucun impôt, et j'ai obtenu jusqu'à présent toutes les facilités possibles pour leur commerce.

Je présume qu'il en est ainsi dans le reste du royaume. On s'appesantit plus sur les philosophes que sur les réformés. Mais si les uns et les autres ne parlent pas trop haut, on les laissera respirer en paix. C'est tout ce que l'on peut espérer dans la situation présente. Le gouvernement ne s'occupera jamais à déraciner la superstition: il sera toujours content pourvu que le peuple paye et obéisse. On laissera le prépuce de Jesus-Christ dans l'église du Puy en Velay, et la robe de la vierge Marie dans le village d'Argenteuil. Les possédés qui tombent du haut mal, iront hurler la nuit du jeudi saint dans la ste chapelle de Paris, et dans l'église de st Maur; on liquéfiera le sang de st Janvier à Naples. On ne se souciera jamais d'éclairer les hommes, mais de les asservir. Il y a longtemps que dans les pays despotiques, sauve qui peut est la devise des sujets.