ce 22 Juillet/3 Auguste 1771
Monsieur, je ne saurai mieux répondre à Vos deux lettres du 19 Juin et 6 Juillet qu'en Vous mandant que Taman et trois autres petites Villes, savoir Temruk, Achai et Atchou, situé sur une grande Isle qui forme l'autre côté du détroit de la Mer d'Asof dans la mer Noire, ce sont renduë à mes troupes dans les premiers jours de Juillet.
Cet exemple a été suivi par plus de deux cent milles Tartares qui demeurent sur les Isles et sur la Terre ferme.
L'Amiral Sinèvin qui est sorti avec sa flottille du Canal a donné la charge à quatorze bâtimens enemis pour s'amuser, un brouïllard cependant les a sauvé de ses griffes. N'est-il pas vrai que, voilà bien des matériaux pour corriger les Cartes géographiques? On a entendu nomer dans cette guerre des endroits dont on n'avoit jamais oui le nom çi devant et que les géografes disoit déserts. N'est il pas vrai aussi que je fait des enquêtes come quatres? Vous dirés qu'il ne faut pas beaucoup d'esprit pour s'emparer de Villes abandonées, voilà aussi peut être la raison qui m'empêche d'être come Vous dite d'une fierté insuportable. Apropos de fierté, j'ai envie de Vous faire sur ce point ma confession pleinière. J'ai euë des grands succès durant cette guerre, je m'en suis réjouië très naturellement, j'ai dit, la Russie sera bien connue par cette guerre, on verra que cette nation est courageuse, infatiguable, qu'elle possède des homes d'un mérite éminent et qui ont toutes les qualités qui forment les Héros, on verra qu'elle ne manque point de ressources, que ses ressources ne sont point usés, mais qu'elle peut ce défendre et faire la guerre avec aisance et vigueur lors qu'elle est attaquée injustement; toute pleine de ses idées, je n'ai jamais fait réflexion à Caterine qui à quarante deux ans ne sauroit croitre ni de Corps ni d'esprit, mais qui par l'ordre naturel des choses doit rester et restera come elle est. Par conséquend dont d'où la fierté lui viendroit elle? Ses affaires vont elles bien? Elle dit, tant mieux! Si elles alloit moins bien, J'employerait touttes mes facultées à les remettre dans la meilleure des lisières possible selon mon entendement. Voilà mon ambition et je n'en ai point d'autre. Ce que je Vous dit est vrai. J'irai plus loin, je Vous dirai que pour épargner le sang humain, je souhaite sincèrement la paix, mais cette paix est très éloigné encore quoique les Turks par d'autre motifs la souhaitent ardament. Ses gens là ne savent pas la faire. Je désire également la pacification des querelles déraisonables de la Pologne, j'ai à faire là à des têtes écervelées dont chaqu'une au lieu de contribuer à la paix comune, bien au contraire y nuit par caprice et par légèreté.
Mon Ambassadeur a publié une déclaration qui devrait leur ouvrir les yeux et les ramener à la raison si ils en sont susceptible, mais il est à parier qu'ils laisseront venir les dernières extrêmités avant que de ce porter à choisir un parti sage et convenable. Les tourbillons de Descartes n'existèrent jamais qu'en Pologne, là chaque tête est un tourbillon qui tourne continuellement autour d'elle même et qui n'est arrêté quelquefois que par hazard, mais jamais par la raison ou le jugement.
Je n'ai point encore reçues ni Vos questions, ni Vos montres de Ferney. Je ne doute point que l'ouvrage de Vos fabriquant ne devienent parfait puisqu'ils ce font sous Vos yeux Monsieur. Je me flate que le Carillon qu'ils feront pour Ste: Sophie lorsque nous l'aurons sera leur chef d'œuvre, seulement je ne voudroit pas qu'ils y plaçassent Constantin et Ste: Helene sa mère, parce que come chef de l'Eglise grecque je n'aimerait pas à voir des persones come celle là occuper les mêmes plaçes qu'on done souvent aux coqs et au coucou, Il est vrai que les uns y sont à peu près aussi déplaçées que les autres, mais au moins ses derniers indiquent t'ils l'heure tandis que je ne sai pas trop ce qu'on pourroit prétendre des autres dans un Carrillon. Ne grondés point Vos Colons de m'avoir envoyé un surplus de montres, cette dépense ne me ruinera pas, il serait bien malheureux pour moi, si j'étois réduite à n'avoir pas à point nomée d'aussi petite somes chaque fois qu'il me les faudra. Je Vous prie de ne pas juger de mes finançes d'après celles des Etats ruinés de l'Europe, Vous me feriés tort; quoique nous ayons la guerre depuis trois ans, nous bâtissons et tout le reste va come en pleine paix, et il y a deux ans qu'aucun nouvel impôt n'a été imposé. La guerre présentement a son état fixé une fois réglé qui ne dérange en rien les autres parties; si nous prenons encore un ou deux Kafa la guerre est payé. Je serai contente de moi chaque fois que j'aurai Votre aprobation.
J'ai aussi reçuë mon instruction pour le Code il y a quelque semaines, parceque je croyois alors la paix plus proche qu'elle ne l'est, et j'ai trouvé que j'avais raison en l'écrivant. J'aouë que le Code pour lequel beaucoup de matériaux ce préparent et d'autres le sont déjà, me donera encore bien de la tablature avant qu'il parviene au degré de perfection où je souhaite de le voir, mais n'importe, il faut qu'il soit fait.
Quoique Taganrok aye la mer au midi et des hauteurs au nord, cependant Vos projets sur cette plaçe ne pourront avoir lieu avant que la paix n'aye assuré ses environs contre toute apréhension du côté de la terre et de la Mer, car jusqu'à la prise de la Crimée s'étoit la place frontière Vis à Vis des Tartares. Peut être m'a mènera t'on ici dans peu le Chan de Crimée en persone, dans ce moment j'aprend qu'il n'a pas passé la mer avec les Turks mais qu'il erre encore dans les montagnes de la Crimée avec une très petite suite, à peu près come le prétendant en Ecosse après la défaite de Culloden. S'il me vient nous travaillerons à le dégourdir cet hiver et pour me vanger de lui je le ferai danser et il ira à la Comédie Française. Adieu Monsieur, continués moi Votre amitié et soyés assurés des sentimens que j'ai pour Vous.
J'allai fermer cette lettre lorsque je reçois la Vôtre du 10 Juillet dans laquelle Vous me mandé l'avanture arrivé à mon instruction en France. Je savais cette anecdote, mais avec l'apendix que s'étoit en conséquence de l'ordre du Duc de Choiseuil. J'avouë que j'en ai ris quand je l'ai luë dans les gazettes, et j'ai trouvée que j'étois assés vangée.
L'incendie arrivée à St: Petersbourg a consumées en tout 140 maisons selon les raports de la police parmi lesquelles il y avoit une vingtaine bâti en pierre, tout le reste n'étois que des baraques de bois. Le grand vent avoit l'incendie le lendemain et lui donna un air surnaturel, mais il n'est pas douteux que le vent et l'exeçive chaleur ont causé tout le mal, qui sera bientôt réparé. Chés nous on construit avec plus de célérité que dans aucun pays de l'Europe. L'anée 1762 il y eut une incendie deux fois aussi considérable qui consuma un grand quartier bâti en bois, il fut reconstruit en briques en moins de trois ans. Vous voudréz bien que je Vous réitère mes remercimens pour toutes les amitiés que Vous me témoignée.