11e janv: 1771
Je n’ai jamais fait, Madame, de compliments de bonne année à personne; mais puisque vous m’en faittes je vous les rends tout chauds.
Ma bonne année commencera quand par hazard vous ferez un tour à Ferney avant que je sois mort.
J’aprends que vôtre gros mari vous est revenu, ainsi cette Lettre sera pour vous deux.
Je ne sais s’il a reçu une Lettre adressée à madame sa mère qui était toute pour lui. En tout cas, on ne lui dira rien dans celle cy. Il est à croire que tout se passera en douceur. Ville qui parlemente est bientôt rendue, et parlement qui parlemente se rend aussi.
Il y a eu une fin d’automne et un commencement d’hiver fort désagréables; j’en ai eu ma bonne part, j’ai tremblé pour sa mère, et j’ai aujourd’hui bien des regrets à essuier. S’il veut jamais être brigadier des armées du Roi il ne faudra pas qu’il s’adresse à moi. Ma Colonie est sur le côté, et je n’ai plus de théâtre. Je me tiens pour mort. Je suis enseveli dans dix pieds de neige en vous écrivant de mon autre monde.
Je vous embrasse de tout mon cœur, Madame, et non pas de tout mon visage, car je n’en ai point.
Je remercie Monsieur et Madame vôtre mère de l’honneur de leur attention.
V.
J’ajoute à mon gros conseiller, que je l’ai prié seulement de s’informer si l’on paiait la rente de je ne sais quels 160 millions que le Roi emprunta au commencement de l’année passée à ses fidèles sujets; que cet emprunt a été enregistré au parlement, et que cependant on n’entend point parler de paiement; qu’un gendre d’un garde du trésor roial doit être informé de ces bagatelles; qu’il y est intéressé; que ces contracts doivent rester chez le notaire où ils sont, et qu’il faudrait un arrêt du conseil pour les transférer d’un notaire à un autre; que Mr De La Borde qui a seul conduit cette affaire n’a pu faire ces contracts que chez son notaire; et qu’en un mot il ne s’agit uniquement de savoir si le gouvernement paie ou ne paie pas. Je finis par vous souhaitter à tout deux toute la prospérité que vous méritez l’un et l’autre.
V.