1770-11-02, de Bernard Joseph Saurin à Voltaire [François Marie Arouet].
Qu'on dise que Brama s'est incarné neuf fois,
A le croire j'ai quelque peine.
Qu'on dise qu'à Fernei sous une forme humaine
Apollon se fait voir, sans peine je le crois:
Si Voltaire n'étoit le Dieu de l'hypocrêne
Que seroit Il? — un Diable et tout des plus malins
Disent Gens (Il est vrai) qui ne sont des plus fins.
Pour homme Il ne l'est pas, la chose est trés certaine:
Mais que Tu sois ou Diable ou Dieu
Que tu sois même l'un et l'autre
Je suis à Toi, j'en ai fait voeu
Moi pauvre Diable, mais l'Apôtre
De tous ceux que le ciel forme pour éclairer
Le genre humain et l'honorer:
D'une main trop avare au vaste champ des âges,
Ce ciel, hélas ! voulut semer
Les grands hommes et les vrais sages
Et leur sort est souvent de se voir opprimer.
Oüi tandis qu'à l'Erreur ne donnant paix ni trève
Tu travailles pour des Ingrats
Et que, du fond du puits, sous l'effort de ton bras
Le seau des vérités avec lenteur s'éléve
On dit que gens à cheveux plats,
A courte vüe, à long rabat,
Ne souffriront jamais, que cette oeuvre s'achève;
On dit qu'imprudemment zélés
Tous nos sages, bientôt, seront emmuselés;
La vérité, sans voix, languira dans les chaînes
Et peut être qu'alors couvrant le genre humain
De ténèbres cimmériennes,
La superstition, une torche à la main
Rentrera dans tous ses domaines.
Voilà, donc, ce qu'aura produit
Le dogme révoltant d'un fou sistématique
Dont l'Impiété fanatique
Fait luire quelque éclair dans la profonde nuit.
Mais de cette licence extrême
Pourquoi jetter sur nous le scandale odieux?
Nous le condamnons Tous ce monstrueux sistème,
Ce long ouvrage ténébreux,
Dans ses suites si dangereux,
Si désespérant par lui-même.
C'est Toi qui nous l'as dit: j'aime à le répéter:
Di Dieu n'existoit pas, Il faudroit l'inventer.
De nos coeurs il sonde l'abime,
Nul ne peut échapper à son regard perçant,
Du Juste infortuné Consolateur sublime,
Juge de l'Oppresseur, Vengeur de l'Innocent,
Il est l'appui du foible et le frein du Puissant.
Gardons nous d'abbaisser les barrières du crime,
N'ôtons pas le remord au coupable éperdu,
Et laissons subsister un prix à la vertu.
C'en est assés sur ce chapitre.
Usons, en variant la matière et le ton
Du privilége d'une Epître
Qui n'a pas la prétention
De traiter un sujet et de remplir un tître.
Un homme de bonne maison,
De bon esprit, c'est mieux encore,
M'a dit, qu'il est de ta façon
Deux tômes nouveaux qu'on dévore.
Vraiment je voudrois bien aussi les dévorer,
Car j'ai grand appétit de bonne nourriture,
Peu de gens, aujourd'hui, savent la préparer.
Mais pour te parler sans figure
Voudrois Tu, facile à mes voeux
Me procurer une lecture
Qui fera le bonheur de Deux?
Tu rendras heureux un ménage,
Chose difficile à Paris;
Aprés dix ans de mariage
Rarement femmes et maris
Comme nous, demeurent unis.
Mais ceux qui le plus se haïssent
Et qu'en tout on voit différer,
Dans un seul point se réunissent,
Et ce point est de t'admirer.

Vous voiés, mon cher confrère, combien je compte sur votre bonté et sur votre indulgence. Je vous embrasse de tout mon coeur, ma femme veut vous embrasser aussi. Laissés vous faire, car Elle n'est pas mal, quant à moi je le permets et tout ce qui me fâche c'est que ce soit de si loin.

Saurin