à Ferney 3e 7bre 1770
Vous ne me mandez point, mon cher philosophe militaire, où vous logez à Paris.
Je hazarde ma réponse à l'hôtel d'Entragues, où il me semble que vous étiez à vôtre dernier voiage.
Vous sentez bien qu'il ne convient guères à un vieux pédant comme moi d'oser me mêler des affaires des Colonels, et que cette indiscrétion de ma part servirait plutôt à reculer vos affaires qu'à les avancer. Horace dit qu'il faut que chacun reste dans sa peau, mais je tâcherai de trouver quelque ouverture pour me mettre à portée de parler de vous comme je le dois, et de satisfaire mon cœur. Je regarderai d'ailleurs cette démarche comme une des clauses de mon testament; car j'aproche tout doucement du moment où les philosophes et les imbéciles ont la même destinée. Je suis furieusement tombé, et il n'y a plus de société pour moi. La vôtre seule me serait précieuse si l'état où je suis me permettait d'en jouïr aussi agréablement qu'autrefois. Je n'ai plus guères que des sentiments à vous offrir, car pour les idées elles s'enfuient; l'esprits'affaiblit avec le corps; les souffrances augmentent, et les pensées diminuent. Tout le monde en vient là, il n'y a que du plus ou du moins; il faut avouer que nous sommes de pauvres machines, mais il est bon d'avoir fait sa provision de philosophie et de constance pour les tems d'affaiblissement. On arrive au tombeau d'un pas plus ferme et plus délibéré.
Jouïssez de la santé sans laquelle il n'y a rien, établissez Messieurs vos enfants, vivez, et vivez pour eux et pour vous, conservez moi vos bontés qui sont des soutiens de ma petite philosophie.
V.