1770-08-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louise Sophie de Dompierre d'Hornoy.

Vous faites, madame, le bonheur d'un homme à qui je tiens par les liens de l'amitié encore plus que par ceux de la nature.
Le seul plaisir qui reste aux vieillards, est d'être sensible à celui des autres. Je vous dois la plus grande satisfaction que je puisse goûter, la vôtre est bien rare de vivre avec un bon mari, sans quitter le meilleur des pères. M. D'Ornoy égaye la retraite de made Denis et la mienne en nous disant combien il est enchanté. Made Denis doit vous dire tout ce qui peut plaire à de nouveaux mariés. Les femmes entendent cela cent fois mieux que les hommes. Pour moi je vous dirai que vous êtes bien bonne au milieu du fracas des noces, de l'embarras des visites et des compliments et des occupations plus sérieuses, d'écrire à un vieux solitaire inutile au monde; je vous en remercie. Vous avez encore un mérite de plus, c'est que votre lettre est fort jolie et que votre écriture ne ressemble pas à celle de votre mari qui écrit comme un chat aussi bien que son autre oncle l'abbé Mignot. L'abbé Dangeau de notre académie française renvoyait les lettres de sa maîtresse quand elles étaient mal orthographiées, et rompait avec elle à la troisième fois. Moi qui suis aussi de l'Académie je ne vous renverrai pas votre lettre, madame, il n'y manque rien, je la garderai comme une chose qui m'est bien chère. Je vous aime déjà comme si je vous avais vue: et sans oublier le respect qu'on doit aux dames, j'ai l'honneur d'être de tout mon cœur, madame,

votre très