Vous m'envoyéz une lettre de change, vous me renvoyéz mes billets déchiréz, eh mais mon dieu, vous voulez confondre un pauvre gros chat.
Je ne sais ni pourquoy, ni comment tant de biens, ma confusion, et mon embaras sont extrêmes. Ie ne sais, ny vous refuser, ny accepter. Ah monsieur, il est des situations bien malheureuses et bien touchantes. Je vois trop que vous avez pénétrée la mienne. Vous n'avez eu besoin que de votre amitié pour moy, et de la dureté des ministres. Ces hommes là, jouissent de gloire, et de louanges bien peu méritées, c'est aux âmes comme la vôtre qu'elles sont seulement dûes, mais où les prendre? Recevéz tous les sentiments d'une reconnoissance qui ne peut finir qu'avec ma vie.
Je suivré vos ordres sur Denizet, il a véritablement besoin d'un maître qui luy forme la main à l'écriture, il n'a d'ailleurs, ny propreté, ny netteté, ni égalité dans ses mots. Mes querelles ont étées innutiles, et la plupart de ses cahiers font mal au coeur. J'ay tâché de le corriger des deffauts dont vous me parléz, mais je n'y compte qu'autant qu'il sera contenu, il ne seroit pas longtems sage avec des laquais de Paris, il a beaucoup de penchant à leur ressembler mais dans une petite maison comme la mienne, où l'on est vu de près, il a été forcé de se contraindre. Je suis honteuse de tout ce qu'il vous coûte, et ce n'est pas ma faute s'il n'en est pas reconnoissant et s'il ne vous est pas attaché, au cas qu'il rentre à votre service.
Ie me suis bien imaginée que vous ne feriez plus que des apparitions à Cirey, vous voilà enchaisné à la cour, et c'est la plus belle conqueste de Louis 15. Il est encore plus beau de ne point oublier un gros chat, il est bien rare de faire cas d'une pauvre petite misérable créature.
Ie suis obligée de quitter cette lettre, i'ay la fièvre, ie n'ay plus besoin de vous dire, que de tout ce qui respire en moy qui vous aime le plus tendrement, daignéz m'écrire quelque fois de votre tourbillon, gros chat veut vous embrasser, il ne peut vous communiquer sa fièvre d'aussy loin.
au Chambonin le 6e d'aoust [1747]
I'auray grand soin des cahiers de Denizet, il a quatre copies des premiers que vous luy avez laissé.